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Idel CENTNER convoi 6 par sa fille Sarah Goldberg

Mon père, Idel Centner est né le 14 janvier 1904 à Varsovie. Ses parents tenaient une boutique d'abatteurs rituels pour volailles. Il a passé son enfance dans un milieu hassidique. Son père étudiait la Torah et sa mère tenait le magasin. Autant dire que les conditions de vie étaient difficiles. Dans les années 20, mon père, qui participait à un mouvement de jeunesse juive, rencontra celle qui devait devenir ma mère, Esther, Mindla SKRZYDLAK, dont le père était cordonnier.

Ma grand-mère maternelle avait tout fait pour que ses cinq enfants aillent à l'école et s'en sortent. En 1930, mes parents se fiancèrent. L'une de mes tantes maternelles s'installa alors à Paris et fit venir mon père dans les premiers mois de 1931. Peu après, il fit venir à son tour ma mère. Ils se marièrent  religieusement à la fin de 1931 puis civilement à la mairie du 20ème en 1932. Je devais naître quelques semaines après, seulement, au mois d'août.

Ma famille s'installa  rue Vilin dans le 20e arrondissement de Paris dans un petit appartement de deux pièces avec eau sur le palier et toilette au rez-de-chaussée pour tout l'immeuble. C'était assez pittoresque ! Au début mon père travaillait comme tailleur chez des patrons. Il n'avait pas de permis de travail et un jour, lors d’un contrôle, il sauta, pour y échapper, par la fenêtre des toilettes et se blessa à la tête. Peu après, il obtint toutefois une autorisation de travail et il s'installa à domicile.

La vie quotidienne était très rude. Lever tôt, coucher tard, toujours à sa table de travail. Seule détente, la réunion familiale du dimanche soir autour d'un buffet avec charcuterie et gros cornichons, comme en Pologne. Malgré la dureté de la vie, mon père était très gai, enjoué même. Il remontait le moral de tout le monde et les gens l'aimaient beaucoup. Lorsqu'il travaillait, il chantait souvent des chansons en yiddish mais aussi, avec un très fort accent,     " les chevaliers de la table ronde" et " tout va très bien  madame la marquise  ".

En 1936, j'avais quatre ans, j’ai accompagné ma mère qui effectuait un voyage en Pologne au moment des congés payés. J'y fis la connaissance de mes grands-parents que je ne devais plus revoir. Les parents de mon père moururent peu avant la guerre, ceux de ma mère périrent dans le ghetto de Varsovie.

Mon père était socialiste (bundiste). Il lisait régulièrement la « Naïe  Presse » et « le Matin ». Il avait évidemment conscience du danger qui planait sur l'Europe mais il avait aussi une grande confiance dans la France. En 1939, comme de nombreux Juifs, il s'engagea volontaire puis fut démobilisé en 1940. Aussi, le 14 mai 1941, c’est avec la conscience parfaitement  tranquille qu’il se rendit à la convocation du commissaire de police. Tous ses papiers étaient en règle, il était inscrit au registre des artisans, il venait de s'engager pour défendre la France et sa petite fille de neuf ans était de nationalité française puisque née en France et naturalisée à la naissance.

Cette confiance ne s'est pas démentie malgré son internement à Pithiviers où il travaillait à la sucrerie et d'où il aurait pu facilement s'évader. Mais il voulait rester dans la légalité qui, croyait-il, était pour nous synonyme de sécurité. Le 16 juillet 1942, comme les autres déportés du convoi numéro 6, il écrivit à sa femme sa dernière lettre pour lui annoncer son départ vers l'Est, pour une destination inconnue… Et, le 17 juillet, il monta dans un des wagons à bestiaux du convoi numéro six, direction Auschwitz.

À la libération, ma mère a longtemps fait le siège de l'hôtel Lutétia jusqu'au moment où quelqu'un lui apprit que son mari était mort dans les mines près d'Auschwitz où il travaillait. Blessé accidentellement, il serait allé à « l'infirmerie » du camp avant de mourir et que son corps fut brûlé. C'était, selon ce témoignage, en février ou en mars 1943. Il serait donc resté sept à huit mois à Auschwitz. Il était âgé de 39 ans.

Ma mère renonça alors à ses investigations mais je me souviens que, sur le chemin de l'école, j'ai longtemps continué à le chercher du regard à tous les coins de rue. Je me disais en moi-même : il va peut-être revenir... Tout cela n'est peut-être pas vrai... Et j'avais le coeur gros lorsque je voyais les parents des autres enfants venir les chercher à la sortie de l'école alors que moi, personne ne m'attendait, ma mère devant travailler dur. Car, dans  notre malheur, nous eûmes la chance, lorsque nous sommes revenus dans notre appartement de la rue Vilin, de constater  que tout avait été préservé. La concierge avait tout gardé. Cas rare dont il faut aussi parler. Ma mère put ainsi réutiliser la machine à coudre pour redémarrer dans la vie avec le souvenir de mon père omniprésent. Mémoire que j'ai transmise à ma fille et que je transmets à mes deux petites filles.

Sarah GOLDBERG

 

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