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Convoi 6

Histoire du convoi 6

 

Le 20 janvier 1942, de hauts fonctionnaires du parti nazi se réunissent à Wannsee pour discuter de la mise en œuvre de la solution finale. Suite à cette conférence, la déportation des Juifs de l’ensemble de l’Europe occupée vers les camps d’extermination s’intensifie. Dix jours plus tard, Adolf Hitler explicite ses intentions envers les Juifs dans un discours prononcé au Sportpalast de Berlin: « Cette guerre ne tournera pas comme les Juifs l’imaginent, à savoir que les peuples européens seront anéantis, mais au contraire, le résultat de cette guerre sera l’anéantissement des Juifs». En France, les déportations débutées en mars 1942 atteignent leur apogée à l’été 1942. 

Le 11 juin 1942, une conférence a lieu à Berlin sous la direction d’Adolf Eichmann, responsable du bureau des affaires juives au RSHA (Reichssicherheitshauptamt, Office central de la sécurité du Reich). Les responsables des services des affaires juives de la Sipo-SD en France, en Belgique et aux Pays-Bas y sont présents. Lors de cette rencontre, les plans préparant la solution finale de la question juive sont mis en place. Il est établi que pour des raisons militaires, il ne serait plus possible de faire partir des Juifs d’Allemagne vers l’Est, au courant de l’été. Pour compléter l’effectif de travailleurs nécessaires à Auschwitz, il faudrait déporter des Juifs du sud-est de l’Europe ou des territoires occupés à l’ouest. Les directives spécifient que les Juifs (des deux sexes) âgés de 16 à 40 ans, dont jusqu’à 10% sont inaptes au travail, peuvent être déportés. Pour la France, il est convenu que 100 000 Juifs seraient déportés, à partir des deux zones. Le général Kohl, chef de la ETRA (Eisenbahntransport, section des transports ferroviaires), prend en charge les aspects techniques des convois. Il fera l’acquisition du matériel nécessaire pour le départ de trois convois par semaine, à partir du 13 juillet 1942. Le nombre suggéré de 100 000 déportés pour la France est rapidement révisé. Le 18 juin Theodor Danneker, responsable du service des affaires juives à la Sipo-SD à Paris, indique que puisque les autorités françaises n’avaient pas confirmé le nombre de Juifs pouvant être arrêtés en zone non occupée, la déportation de 40 000 Juifs serait effectuée dans un premier temps. 

Bien que les déportations planifiées lors de la rencontre du 11 juin ciblent plutôt les Juifs aptes au travail, la possibilité de déporter des familles entières est présentée quelques jours plus tard. Le 15 juin, Theodor Dannecker envoie un télex au chef de la Sipo-SD en France, Helmut Knochen, concernant la réalisation pratique de ces convois. Dannecker indique qu’afin d’éviter toute confusion avec l’action « Travailleurs français pour l’Allemagne » ainsi qu’avec les convois pouvant contenir des familles entières, la désignation « transplantation de Juifs » devrait être utilisée pour ce genre de déportation. Dannecker précise également le matériel roulant à fournir: une locomotive, trois wagons de voyageurs pour l’escorte, et 20 wagons de marchandises.

Le 26 juin, Dannecker impose de nouvelles directives pour les prochaines déportations. Les personnes ciblées doivent être âgées de 16 à 45 ans. Il énumère ensuite les objets que les déportés doivent avoir: les vêtements nécessaires pour le travail y compris des bottes de travail, un vêtement de travail ainsi que de la literie. De plus, chaque déporté doit être muni de vivres pour trois jours. Chacun est autorisé à garder une valise ou un sac à dos. Il leur est défendu d’emporter des animaux et des objets de valeur à l’exception de leurs alliances. Dannecker insiste pour qu’un Juif par wagon soit désigné responsable du maintien et de l’ordre durant le voyage ainsi que du nettoyage du wagon à l’arrivée. Un seau hygiénique doit être prévu par wagon.

Au cours d’une visite de deux jours à Paris au début de juillet 1942, Eichmann et Dannecker se rencontrent pour ratifier les plans de la déportation massive des Juifs de France, lesquels avaient été élaborés lors de la rencontre du 11 juin. Bien que certains aspects techniques concernant les déportations de la zone non occupée n’aient toujours pas été finalisés, il est confirmé que les déportations à partir de la zone occupée pourraient être exécutées rapidement et sans difficulté. Eichmann insiste pour qu’une cadence de trois convois par semaine soit établie au plus tôt en vue de « libérer totalement et le plus vite possible la France de ses Juifs ». L’horaire de six convois est établi, avec des départs prévus à partir des régions provinciales autour de Paris.

Le 2 juillet 1942, des négociations ont lieu entre Carl Oberg et René Bousquet, secrétaire général de la Police nationale. Au cours de cette rencontre, la question du rôle de la police française est abordée. Bousquet y rapporte que le gouvernement français est prêt à prendre en charge les arrestations, pourvu que seuls les Juifs étrangers soient ciblés. La déportation des Juifs étrangers à partir des deux zones est confirmée le lendemain lors de la réunion du conseil des ministres convoquée par le chef du gouvernement, Pierre Laval, et le chef de l’État français, Philippe Pétain. Cependant, les convois prévus ne pouvant être remplis exclusivement de Juifs étrangers, il est décidé d’annuler le premier convoi qui devait quitter Bordeaux, le 15 juillet. Cette révocation frustre profondément Eichmann et les fonctionnaires allemands en France organisent donc à la hâte un autre convoi. Le 11 juillet, un nouvel horaire est établi pour les prochains départs, dont un convoi à partir de Pithiviers, le 17 juillet.

Ce convoi, le convoi 6, comprend 928 Juifs. Trois quarts sont des Juifs étrangers qui avaient été arrêtés à Paris le 14 mai 1941. Six mille quatre cent quatre-vingt-quatorze Juifs avaient été arrêtés par la police française suite à la demande des autorités allemandes de réduire le nombre de Juifs étrangers en zone occupée. Ils sont internés dans un des cinq centres (les casernes Napoléon et Minimes, le 52 rue Edouard-Pailleron, le 33 rue de la Grange-aux-Belles, et le Gymnase Japy). La plupart sont des Juifs polonais (3439) en plus de 3 Juifs de nationalité autrichienne et de 157 de nationalité tchèque. Ils sont emmenés en autobus à la gare d’Austerlitz. À la gare, des policiers français supervisent l’embarquement avec des officiers allemands de la police militaire, la Feldgendarmerie. Parmi les Juifs appréhendés, 1693 sont transférés au camp de Pithiviers et 2000 au camp de Beaune-la-Rolande.

Tandis que la plupart des détenus arrêtés en mai 1941 sont déportés dans les 2ème, 4ème et 5ème convois ayant quitté la France en 1942, les autres sont déportés le 17 juillet à partir de Pithiviers. La plupart des déportés étaient déjà internés dans ce camp au moment de la déportation. Cependant, 214 hommes, détenus au camp de Beaune-la-Rolande sont transférés à Pithiviers pour faire partie de ce convoi. Afin d’augmenter l’effectif du convoi, 150 Juifs supplémentaires, travaillant dans des fermes à Sologne, sont transférés à Pithiviers le 13 juillet. En dépit de ces transferts, le nombre de Juifs disponibles pour la déportation à partir du camp de Pithiviers n’atteint que 600. Pour atteindre le nombre requis de 1000 Juifs, des arrestations sont organisées dans la région avoisinante le camp de Pithiviers. Les limites concernant l’âge et la nationalité des Juifs arrêtés ne sont pas respectées. Ces arrestations sont menées en grande partie par la police française, selon l’entente entre Oberg et Bousquet du 2 juillet.

Dans la région de Bourgogne, 193 Juifs sont arrêtés sur ordre du Kommander de Dijon. Ces arrestations ont lieu dans différents départements: Dans le département de la Nièvre, 32 Juifs sont arrêtés le 13 juillet.

Le commandant de la gendarmerie dans la capitale administrative de Nevers, reçoit les ordres suivants pour les arrestations: Tous les Juifs âgés de 18 ans à 45 ans inclus, des deux sexes, de nationalités polonaise, tchécoslovaque, russe, allemande et précédemment autrichienne, grecque, yougoslave, norvégienne, hollandaise, belge, luxembourgeois, et apatrides devront être immédiatement arrêtés et transférés dans le camp de concentration de Pithiviers. Les Juifs qui de visu sont reconnus estropiés ainsi que les Juifs issus de mariage mixte ne devront pas être arrêtés. Les arrestations devront être intégralement exécutées le 13 juillet à 20 heures. Les Juifs arrêtés devront être livrés pour le 15 juillet à 20 heures, dernier délai au camp de concentration. D’autres instructions suivent, détaillant les objets que chaque déporté devait emporter avec lui, identiques aux objets énumérés par Dannecker dans sa note du 26 juin. Le 13 juillet un télex est envoyé au préfet de Nevers indiquant que les enfants des détenus ainsi que les Juifs estropiés laissés derrière ne pouvaient pas être pris en charge par la Croix-Rouge ni par toute autre organisation charitable française. Seule l’UGIF (l’Union Générale des Israélites de France) pouvait accueillir ces Juifs. Tous les détenus sont transférés à l’école du Parc et y demeurent la nuit. Le lendemain, ils quittent Nevers pour Pithiviers.

Dans le département de l’Yonne, 42 Juifs sont arrêtés et dirigés au centre de détention d’Auxerre le 12 juillet. Deux jours plus tard, le commandant de la gendarmerie désigne les Juifs qui devaient être déportés de Pithiviers et donne des instructions concernant le transfert du centre de détention à la gare. Il demande que les véhicules soient prêts au dépôt de Bourgogne à 6 h 45 pour le transfert des déportés à partir du centre de détention vers le camp de Pithiviers. L’autobus devait suivre le trajet suivant : Auxerre, Sens, Montargis et Pithiviers. Des directives identiques à celles envoyées au préfet de Nevers sont reçues par le préfet de l’Yonne. Celui-ci répète que toute négligence dans l’exécution de l’ordre de la part des gendarmes entraînerait leur renvoi immédiat.

À Monceau-les-Mines dans la Saône-et-Loire, 35 Juifs sont appréhendés et dirigés vers le camp de Pithiviers le 14 juillet. Les arrestations sont effectuées par le commissaire de police Marcel Dives et le capitaine Hellio de la gendarmerie. Plusieurs enfants sont parmi les détenus y compris un nourrisson d’un mois. Les enfants qui n’avaient pas été recueillis par des proches sont conduits au siège de l’UGIF à Paris. Les adultes appréhendés sont transférés au camp de Pithiviers et déportés le 17 juillet.

Dans le département de la Côte-d’Or, 21 Juifs sont arrêtés et transférés provisoirement à la municipalité de Dijon. Ils sont transférés au camp de Pithiviers le 15 juillet.

Dans le Territoire de Belfort, 12 Juifs de nationalité polonaise sont arrêtés le 12 juillet. Ils laissent 28 enfants derrière eux qui sont pris en charge par l’UGIF. Un rapport préparé par l’OSE (l’Œuvre de Secours aux Enfants) concernant les arrestations à Belfort, rapporte qu’après l’arrestation des adultes, les enfants restèrent seuls dans les appartements abandonnés. Selon ce rapport, l’UGIF eut de la difficulté à les rassembler. Un nourrisson de deux mois fut trouvé après deux jours.

Dans la région centrale, 42 Juifs sont arrêtés sur ordre du Kommander d’Orléans. Le matin du 13 juillet, à Blois dans le département du Loir-et-Cher, la Feldgendarmerie arrête cinq Juifs; deux hommes et trois femmes, dont une citoyenne française. Le rapport du commissaire de police pour le préfet du Loir-et-Cher rapporte que ces Juifs furent emmenés à la station de police où ils attendirent leur transfert vers une destination que le commissaire ignorait.

Le 15 juillet, les directives pour le convoi prévu le 17 juillet, sont envoyées au préfet du département du Loiret, où le camp de Pithiviers est situé. Selon les ordres, le transfert des Juifs de Pithiviers devait se faire à 6 h 15. L’embarquement devait avoir lieu le 16 juillet entre 19 heures et 21 heures, en présence des autorités allemandes. De plus, 200 Juifs de Dijon et 50 de Paris, dont le transfert à Pithiviers était prévu le 15 et 16 juillet, devaient faire partie de ce convoi. Le préfet demande un détachement de garde pour la surveillance du transfert à partir du camp jusqu’à la gare de Pithiviers. Il précise qu’un détachement de la gendarmerie devait fournir dix gendarmes pour la garde du train et qu’ils travailleraient en roulement pendant la nuit conjointement avec les gendarmes allemands.

Le train quitte la gare de Pithiviers le 17 juillet 1942, à 6 h 15 avec 928 Juifs. En attendant le départ, les déportés passent la nuit entière dans le train. Selon l’horaire envoyé pour la première déportation à partir de Pithiviers en juin 1942, le train a sans doute pris le trajet suivant: après son départ de Pithiviers, le train passe par Malesherbes, Montereau, Flamboin, Troyes Brienne-le-Château, Valentigny, Montier en Der, Eclaron, St-Dizier, Révigny, Bar-le-Duc et Lérouville jusqu’à son arrivée à la frontière. Le chef du convoi est le lieutenant Schneider, responsable de l’escorte du convoi jusqu’à la frontière. Au mois de novembre 1943, le Reichsbahn (la compagnie ferroviaire nationale allemande) confirme l’horaire des transports à partir de la France. Nous ne possédons pas de documents portant sur les horaires de transport à partir de la frontière franco-allemande avant cette date, mais selon toute probabilité, ils étaient très similaires. Par conséquent, les convois précédents, y compris celui du 17 juillet 1942, ont probablement emprunté le trajet suivant, une fois qu’ils passèrent la frontière franco-allemande: Saarbrücken, Frankfurt-Main, Dresden, Görlitz, Nysa, et Katowice avant d’arriver à Auschwitz.

Le 28 juillet 1942, Heinz Röthke, qui remplaçait Dannecker à la section des affaires juives à la Sipo-SD en France, envoie de nouvelles directives au chef de la Sipo-SD en France Helmut Knochen et à son adjoint Kurt Lischka, avec l’horaire pour les 13 convois suivants, affirmant que: « des voitures de marchandises allemandes doivent être utilisées pour les déportations, comme ça a été le cas jusque-ici. » Bien que les voitures soient allemandes, la locomotive du train est fournie par la SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer Français) et son personnel escorte le train jusqu’à la frontière à Novéant (Neuburg). Ceci fut confirmé par l’historien de la SNCF Christian Bachelier. À la frontière, le matériel moteur est remplacé par une locomotive allemande et le personnel français par un personnel allemand.

Le convoi du 17 juillet 1942 est le premier à inclure un nombre élevé de femmes: 119 femmes font partie de ce convoi. La plupart des déportés sont des Juifs étrangers, majoritairement de nationalité polonaise. Au moins 16 citoyens français sont compris dans le convoi, malgré l’accord qui avait été conclu avec les autorités françaises confirmant que seuls les Juifs étrangers seraient déportés. Plusieurs enfants âgés de moins de 16 ans sont également déportés. Parmi ces enfants se trouvent Marie-Louis Warenbron (12 ans) et Rebecca Nowodworski (14 ans).

Berek Wancier, qui se trouve parmi les déportés arrêtés à Paris en mai 1941, raconte son expérience dans le convoi: « Le 17 juillet 1942, les gendarmes nous ont fait monter dans les wagons à bestiaux, nous étions très serrés dans ce wagon. On se disait: « on ne nous mangera pas, on va nous faire travailler, c’est tout ». Nous étions 70 ou 80 dans ce wagon sans eau ni rien à manger. Il faisait très chaud. On pensait aller en Allemagne, mais pas vers la mort. Le « voyage » a duré trois jours. Nous faisions nos besoins dans un coin du wagon où il y avait un peu de paille. Plusieurs personnes ont commencé à vomir, ça sentait très mauvais. Certains jetaient des lettres. À un moment, la porte s’est un peu ouverte, on nous a donné un seau d’eau, mais tout le wagon avait tellement soif que tout le monde a voulu boire tout de suite et la moitié du seau s’est renversée».

Jukiel Obarzanek écrit une dernière lettre à sa famille avant sa déportation: « Ma chère famille, je viens vous dire que je pars aujourd’hui soir. Je crois que nous partons travailler. Ne te fais pas de mauvais sang car je suis courageux. Il y a parmi nous des femmes aussi, environ une centaine et elles sont aussi très courageuses.». Parmi les déportés figure Irène Némirovsky, immigrante russe et auteure célèbre. Elle avait écrit de nombreux romans avant le déclenchement de la guerre et achevait un nouveau livre avant sa déportation au mois de juillet 1942.

À leur arrivée à Auschwitz le 19 juillet, tous les déportés sont sélectionnés pour les travaux forcés. Les hommes sont tatoués des numéros 48880 à 49688 et les femmes reçoivent les numéros 9550 à 9668. Selon l’historien Serge Klarsfeld, on dénombrait 45 rescapés de ce convoi en 1945, mais suite à de nombreuses recherches de notre association en entrecoupant différents fichiers tels que ceux de l’Hôtel Lutetia ou la Croix rouge, nous avons retrouvé 99 survivants à ce jour.