Témoignage sur Hersz Lejb ORTMAN convoi 6 par son fils Raymond ORTMAN
Jérusalem, dans le cadre de la plantation de 1000 arbres « bosquet du convoi 6 », j’ai redonné vie à mon père. A lui qui n’existait que par les quelques centimètres de son nom gravé sur le mur du Mémorial de la Shoah.
Mes parents, tous deux natifs de Lublin se sont mariés en Pologne et sont arrivés en France en 1931. Mon père Hersz Lejb avait 26 ans, ma mère, Sarah BRENER en avait 25.
Ma tante Estelle ARBAJTMAN, sœur de ma mère, était venue en éclaireuse voir la France, pays des Droits de l’Homme, de la Liberté, et pays d’accueil universellement reconnu. Elle y a rapidement trouvé un travail et un logement, elle a donc conseillé à mes parents de la rejoindre. Mon père a vite réussi à installer un atelier de confection dans le vingtième arrondissement, rue Piat et à louer un appartement rue du Transvaal.
Je suis né en 1936. Trois pièces, cuisine, on était bien. J’allais à l’école rue des Couronnes, je jouais dans la rue, j’avais des copains. Notre jeu favori était un traîneau bricolé en bois, avec une ficelle pour diriger le banc de direction avec des roulements à billes aux extrémités, On descendait la rue du Transvaal, on avait les genoux en sang. On était heureux.
Mon père, engagé volontaire fut arrêté sous l’uniforme français, le 14 mai 1941 et envoyé à Beaune-la-Rolande puis à la ferme de La Matelote.
Maman, hélas, est tombée malade du tétanos. Elle est décédée à l’hôpital Tenon le 5 mai 1942. Je l’ai vue la veille, toute blanche, en sueur, désespérée (abattue) autant par le chagrin que par la maladie. Cette scène vécue à 6 ans reste gravée dans ma mémoire.
Je me souviens être allé voir mon père. Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, Maman était encore bien. Nous étions dehors, devant un grillage, les hommes juchés sur une estrade, assez loin faisaient des signes de la main. J’ai vu mon père là-bas, à cent mètres de distance pour la dernière fois.
Quels autres souvenirs peuvent me revenir de lui ? Un sentiment de joie de vivre la vie de tous les jours. Ce que ma tante m’a dit plus tard : « Ton père était un grand travailleur, il rentrait tard le soir de l’atelier. »
Le drame est que je ne peux pas raconter de vrai souvenir personnel. J’avais 6 ans.
Une chose est sûre, je le sais par des papiers officiels : Mon père a été engagé volontaire dans l’armée française en 39-40, pour défendre son pays d’accueil. Ensuite on lui a attribué le titre de déporté politique, et le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre a certifié « que les circonstances du décès de Monsieur ORTMAN Hersz Lejb né le 27 mars 1905 à Lublin (Pologne) survenu en déportation, ouvrirait droit, s’il avait été de nationalité française, à l’attribution de la mention Mort pour la France prévue par l’Ordonnance du 2 novembre 1945 ».
Pour moi, il est mort pour la France, ce qui m’a valu de ne pas être envoyé en Algérie pendant mes 28 mois de service militaire.
Je voudrais aussi rendre hommage à un monsieur que je n’ai pas connu. Il était le père de Micheline, mon épouse décédée en 2005, Herszka ZAJDMAN né le 27 avril 1908 à Piotrkow (Pologne), déporté par le convoi 6, comme mon père, assassiné à Auschwitz.