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Jankiel ZYLBERBERG convoi 6 par son fils Benjamin ZYLBERBERG

Mon père est décédé le 20 octobre 1997, 52 ans après sa libération des camps de la mort. Au cours de cette « seconde vie », selon ses termes, il a assuré mon éducation et a vécu comme un succès personnel mon diplôme de médecin, lui, le « Schneider » (tailleur) qui n’avait pas eu la chance d’étudier !

Il m’a donné en 1950 une sœur (de 16 ans ma cadette), qui est ma seule famille. Il insistait avec tristesse sur sa chance d’avoir vu ses enfants grandir, se marier à leur tour. Et sa joie d’être arrière-grand-père ; ce qui n’a malheureusement pas été le cas pour la plupart de ses compagnons de captivité.

Mes parents étaient originaires de Minsk-Mazowiecki, une petite ville polonaise près de Varsovie qui comptait environ 5000 juifs sur 18 000 habitants.

Mon père Jankiel est né Platkiewicz le 15 mars 1908, cadet d’une famille nombreuse pauvre. Lors d’un recensement de la population, étant donné que ses parents n’avaient eu qu’un mariage religieux il a, comme ses frères et sœurs, été considéré comme bâtard, et ils ont tous dû adopter le nom de famille de leur mère Zylberberg.

Ma mère Cyporah Grynstejn est née dans une famille aisée le 15 février 1913. Inséparables depuis leur prime enfance, ils se marièrent en 1931. Entre temps mon grand-père paternel étant décédé, mon père est entré dès l’âge de 9 ans comme apprenti dans un atelier de tailleur pour dames. Il apprit son métier, joua dans une équipe juive de football amateur, se fit rosser par la police pour avoir collé des affiches communistes et passa près de 2 ans dans un sanatorium  pour une lésion pulmonaire tuberculeuse qui guérira.

Je suis né en 1934. Ma mère tenait une épicerie-confiserie. Mon père travaillait dans un atelier de confection et aidait à la boutique après ses heures de travail. La situation était de plus en plus tendue entre les communautés juives et catholiques. Ma grand-mère maternelle après le décès de son époux se remaria et vécut à Paris. Elle insista pour que mes parents la rejoignent. Après les pogroms de 1936, mes parents émigrèrent à Paris où nous vivions rue Augustin Thierry dans le 19ème arrondissement. Papa a trouvé du travail à domicile, de confection pour dames et il « pédala », faute de moteur, toute la journée sur sa machine à coudre Singer. Il chantait tout le temps et les chansons mélancoliques me faisaient pleurer, mais c’est le bon temps !

En 1940, c’était la « drôle de guerre ». Mon père se porta volontaire et s’engagea dans l’armée française. « C’est normal car la France m’a accueilli ». Il fut démobilisé fin juillet 40, sans avoir jamais tiré un coup de feu. Il reprit son travail, il chantait, j’ai 6 ans, la vie était belle !

Le 13 mai 1941, il reçut le fameux billet vert lui enjoignant de se présenter au commissariat de son arrondissement le lendemain pour « examen de sa situation » !!! Il fut arrêté et interné au camp de Beaune-la-Rolande où j’eus l’occasion de le voir au moins 2 fois, peut être plus, mais je ne m’en souviens plus. Il m’offrit un phare sculpté dans le bois que j’ai toujours. Il fut transféré à Pithiviers un mois avant son départ pour une destination inconnue le 17 juillet 1942. J’avais 8 ans et je ne le revis que 3 ans plus tard.

Son parcours dans les camps de la mort, il l’a décrit et ses amis l’ont évoqué dans le livre « Jawischowitz ».

Il s’est vu mourir à Auschwitz où il reçut le matricule 49375.

Il a eu la chance insensée, qu’il a su saisir, de pouvoir être le « tailleur » du camp de Jawischowitz de septembre 1941 à l’évacuation du camp le 18 janvier 1945. Il a survécu par miracle à la « marche de la mort » qui l’a amené à Buchenwald et il a été libéré par l’Armée rouge à Theresienstadt (Tchécoslovaquie) le 10 mai 1945, deux jours après la fin officielle de la seconde guerre mondiale.

Après la libération, nous sommes allés voir à l’hôtel Lutetia les listes des survivants. Mon père en était. J’étais avec ma mère quand j’ai vu remonter dans la rue Augustin Thierry, un monsieur que je ne reconnaissais pas. Il avait le crâne rasé, il était très maigre, boitait et portait une musette en bandoulière. Il n’arrêtait pas de nous embrasser et de nous serrer dans les bras, puis il a sorti de la musette un appareil photo Agfa Carat (que j’ai conservé) et il a tendu la musette à Maman en lui disant comme si c’était un trésor : « elle est pleine de croûtons de pain ».

Ma mère a eu beau le rassurer et lui dire qu’on pouvait maintenant manger à sa faim, il ne voulait pas en démordre « ça pouvait toujours servir à mettre dans la soupe »  et il n’était surtout pas question de les jeter. Il nous a expliqué qu’il boitait parce qu’au cours de l’évacuation vers Theresienstadt il avait dû bondir hors d’un train poussé par les « schnell, schnell » et les coups de cravaches des SS et il s’était tordu la cheville. Malgré la douleur, il avait marché pour ne pas être tué.

Cette nuit-là et bien d’autres, il est sorti du lit « trop mou » et a dormi par terre.

Il ne racontait pratiquement rien de sa vie carcérale car, disait-il, nous ne pouvions pas comprendre. Nous avons commencé à savoir ce qui s‘était passé quand les anciens de Jawischowitz se rencontraient à la maison. J’ai surtout retenu que mon père avait été un « Mensch », c’est-à-dire un homme droit, un honnête homme qui aidait ses copains, qui leur distribuait toute la nourriture qu’il avait en trop. Ils ont surtout insisté sur le fait qu’il avait été roué de coups de fouet ou de cravache (je ne sais plus) par un SS et que celui-ci à la fin avait porté la main à son étui de revolver et s’était ravisé. Tous ses amis s’étaient détournés car ils étaient persuadés que sa dernière heure était venue.

Il parlait peu des camps à la maison. Mais entre camarades, ils étaient intarissables sur leur vécu...Bribe par bride nous apprenions qui avait été kapo dans le camp, les « organisations » (les tours joués aux autorités) avec notamment une radio cachée, fabriquée par le radioélectricien du camp, Paul GRATZJAIN, qui leur apprit la déroute allemande et leur redonna espoir.

Combien de fois ai-je entendu mon père crier au cours d’un cauchemar ? Ma mère m’a confié que cela lui arrivait encore à la fin de sa vie. Une fois nous avons eu un violoniste belge qui s’appelait Shapiro et qui aurait joué à la cour du roi des Belges. Mon père le recevait souvent dans son atelier, dans le camp, après qu’il ait terminé son travail à la mine de charbon, et le régalait d’une soupe pour l’entendre jouer son air favori « Le Canari ». J’ai compris alors pourquoi mon père tenait tant à ce que je joue du violon. Shapiro a empoigné mon violon et m’a joué « Le Canari » (air que j’ai retrouvé, il y a peu de temps), d’autres morceaux et a terminé par la Hatikvah. Tout le monde pleurait.

Ma mère est décédée en 2000, 3 ans après Papa.

Je m’en veux de ne pas avoir noté tout ce que mon père a fini par nous dire.

Je m’en veux d’avoir oublié ou occulté tant d’événements dont il m’a parlé.

Je m’en veux de ne pas avoir compris l’importance de SE SOUVENIR, DE TEMOIGNER, et de pas l’avoir inculqué à mes enfants et à mes petits-enfants.

J’espère qu’il n’est pas trop tard, car alors je m’en voudrais encore bien plus.

 

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