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Témoignage sur Jojne Jedwab convoi 6 par sa fille Chaja Ehrlich

Mon père, Jojne  JEDWAB est né à Kaluszyn en Pologne, le 4 juillet  1901. Quand je suis née à Varsovie en 1931, mon père était marié avec  Rajska Helman,  ma mère. Elle était veuve et avait déjà trois filles d'un premier mariage (avec Srul Djament) : Paulette  8 ans, Thérèse (Tauba)  7 ans et  Jeannette (Chana) 5 ans.

D'après ce qu'on m'a raconté, mon père, que je n'avais pas connu à l'époque, était cordonnier et aussi  arbitre de football à Kaluszyn, Il écrivait des poèmes également.

Mon père est parti  pour la France, en 1933, y rejoindre son frère Josek.  En 1935, ma mère l'y a rejoint avec mes sœurs Paulette et Jeannette. Ma sœur Thérèse est restée chez une tante de ma mère à Varsovie, et moi chez ma grand-mère paternelle à Kaluszyn. C'est ma grand-mère Riwka qui m'a élevée  et choyée pendant cinq ans et demi,  jusqu'à son décès en 1937, puis j'ai rejoint ma famille à Paris, avec ma sœur Thérèse et notre tante Tobe, sœur de mon père (elle est ensuite retournée en Pologne et est morte en déportation.

D'après ce qu'on m'a raconté au cours des années, je peux reconstituer que mon père, Jojne JEDWAB avait (au moins) deux frères et une sœur. Un frère, Josek dont le sort m'est inconnu (vraisemblablement né le 11 décembre 1904 à Kaluszyn); un autre frère plus âgé que lui, Jankel, qui est arrivé le premier pour s'installer en France sous l'identité de "Josek", identité empruntée à son frère (qui ne vivait peut-être plus), sans doute pour éviter le service militaire en Pologne ou pour faciliter les papiers d'immigration en France (son fils Maurice JEDWAB peut compléter), et une sœur plus jeune, Tobe.

Dans le logement  que mes parents avaient trouvé 6, cité Lesage-Bullourde, dans le 11e  arrondissement de Paris, j'ai fait enfin connaissance avec mon père, ma mère et mes trois sœurs.

Ce logement se trouvait dans un ensemble locatif  composé de chambres  côte à côte; nous y occupions deux chambres. Pour aller de l'une à l'autre il fallait passer par un long couloir extérieur. Les toilettes  étaient évidemment sur le palier. On devait monter l'eau d'une fontaine située dans la cour de la Cité. Deux étages à monter avec des seaux. La cuisine se faisait dans la chambre qui servait aussi de chambre à coucher de nos parents. Dans l'autre chambre, les quatre sœurs dormaient dans le même lit.

Mon père qui était cordonnier avait trouvé du travail chez son frère Jankel. La cordonnerie se trouvait passage Basfroi dans le même quartier. Mon père devait travailler beaucoup  pour nourrir notre grande famille. J'allais le voir dans la petite cordonnerie où ils fabriquaient des "pieds-nus".  J'entends encore le bruit sourd du petit marteau,  je vois la chaussure sur l'enclume et je sens l'odeur du cuir. Elle arrive  dans mes narines et me procure encore aujourd'hui un plaisir étonnant, inattendu.

J'ai eu très peu de temps pour  connaître mon père. Je l'aimais. Il était toujours très bon avec mes sœurs, ses trois belles-filles. J'ai le souvenir d'une grande douceur lorsqu'il me prenait sur ses genoux. Cela n'a pas duré très longtemps puisque mon père tant aimé, ne devait jamais reprendre sa place derrière l'établi du Passage Basfroi.

En effet, le jour où mes sœurs et moi faisions la queue chez le poissonnier pour toucher la ration mensuelle de la famille, le 14 mai 1941, mon père se présentait au Gymnase Japy sur convocation du "Billet vert". Je ne l'ai plus jamais revu depuis. Il a été emmené au camp de Beaune-la-Rolande, ainsi que son frère Jankel. Mon père était chef cordonnier du camp, il pouvait donc sortir pour faire des achats de cuir et d'outils, il aurait pu se sauver à maintes occasions, ce qu'il n'a pas fait, pour rester avec les copains et son frère, ignorant le sort qui leur était réservé. Ma mère, mon frère Serge et une de mes sœurs ont profité du droit de visite des familles pour aller les voir au camp.

Nous sommes restés seuls, ma mère, deux de mes sœurs Thérèse et Jeannette (la troisième, Paulette déjà mariée ne vivait plus avec nous), mon frère Serge, né à Paris en 1940 et moi. Ma mère a continué de travailler, pour nous faire vivre.

Le 15 juillet 1942, nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles on va venir arrêter les jeunes gens. Mes deux sœurs qui avaient 16 et 18 ans sont allées se cacher hors de la maison. Ce jour-là, j'étais alitée avec une angine fiévreuse. J'étais seule dans la chambre des filles, j'avais 10 ans et demi.

Dans la nuit, on a frappé violemment à la porte, des coups de plus en plus forts. J'ai eu peur, je suis restée dans mon lit sans ouvrir. D'angoisse, j’ai fait dans mon lit. Après un certain temps, les coups ne cessant pas, je me suis dit que me sœurs cachées ne risquaient sans doute rien. J'ai ouvert. Un gendarme et un inspecteur en civil ont demandé à voir ma mère, je les ai emmenés dans la chambre où se trouvaient ma mère et mon frère Serge. Ils ont demandé où sont mes sœurs, ma mère leur dit: « à la campagne ». Les gendarmes sont repartis.

Le lendemain, le 16 juillet 1942  à midi, les mêmes gendarmes et inspecteurs sont entrés chez nous et ont emmené mes sœurs Jeannette et Thérèse qui étaient revenues à la maison. Elles ont été emmenées au Gymnase Japy où je les ai accompagnées, avec l'ami goy de Jeannette, Pierre BARSI, qui avait un vélo. Il a prié Jeannette de prendre le vélo et de se sauver (ce qui, semble-il, était faisable), mais comme Thérèse était démoralisée et en pleurs, elle a refusé de la quitter. Je ne les ai plus jamais revues. Elles ont ensuite été emmenées à Drancy d'où elles sont parties pour Auschwitz.

Ma mère, mon frère Serge et moi n'avons pas été pris dans cette rafle car mon frère avait moins de deux ans et moi j'avais moins de 14 ans. Par contre toutes mes amies avec leurs familles, qui vivaient autour de nous dans la Cité, ont été prises  ce jour-là.

Le 13 Juillet 1942, mon père Jojne JEDWAB et son frère Jankel ont été transférés avec les autres internés du camp de Beaune-la-Rolande à Pithiviers, d'où ils ont été déportés à Auschwitz.

Mon frère et moi avons été placés "en nourrice" en province. C'est moi qui, à partir de ce moment, l'a élevé et toujours considéré  comme mon enfant.

Ma mère Rajska et ma sœur Paulette ont été cachées dans la Cité et ensuite à la campagne grâce aux soins de Pierre BARSI, l'ami goy de ma sœur Jeannette. C'est ainsi qu'elles ont survécu à la guerre.

Après la guerre ma mère s'est remariée avec un monsieur KORMANN dont le fils a épousé ma sœur Paulette dont le mari, Szmiel ZELENIETZKY avait été déporté à Buchenwald après avoir été arrêté en essayant de passer en Suisse ; il n'est pas revenu.

Après mon installation en Israël et mon mariage, mon frère Serge est venu me rejoindre. Á la Guerre des Six Jours, il est mort du tir erroné d'un soldat israélien à un barrage routier, juste au moment où il démarrait une carrière d'acteur de cinéma et de speaker pour les programmes français de la radio.

La mort de mon frère Serge, que j'avais pratiquement élevé, a été très douloureuse pour moi et m'a marquée jusqu'à ce jour.

J'ai appris par le livre de Serge Klarsfeld que mon père avait été déporté à Auschwitz par le convoi 6 du 17 Juillet 1942, et mes sœurs par le convoi 10 du 24 Juillet 1942. Ils ne sont pas revenus.

Relu et signé : Zoran, le 18 Novembre  2007

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