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Témoignage sur Gerszon-Henoch Wagner convoi 6 par son fils Michel Wagner

Je suis le sauvé mais c’est le témoignage de l’incroyable de mon sauveur que je veux vous apporter. Mon enfance meurtrie d'un enfant du silence.

Ma survie est un miracle réalisé par une sœur de ma mère, ma tante Miki, aujourd'hui arrière-grand-mère.

Michel Wagner, aujourd’hui décédé, avait écrit exactement ce texte en 2004 pour son père.

Je m'appelle Michel, je suis le fils de Gerszon-Henoch Wagner et de Elka Plywak, mes parents venus en France à Paris, depuis la Pologne où, l'histoire est connue, ils ne pouvaient plus vivre en paix ; ma mère, Varsovienne, a suivi ses parents et mon père est parti de Krasnick où, m'a-t-il été dit, vivait une grande communauté juive. Ils se sont rencontrés à Paris, se sont mariés en 1935, ils s'aimaient, les regards qu'ils échangent sur les quelques photos qui me restent en témoignent bien.

Je suis le premier et le seul enfant né en septembre 1938. Je n'ai pas de souvenir de mon père, sinon peut-être la vision d'un sourire. Je le connais par les photos de son mariage, quelques photos de famille, celles où il est avec ma mère, mais aussi celles où il est en uniforme, interné dans un camp (Pithiviers), d'où il envoie une insolite 'carte postale', un porte plume en bois, avec sur une face, un petit mot affectueux, forcément stéréotypé, gravé à la pointe brûlée, et, orné de morceaux de photos de sa femme et de son fils. Sur l'autre face, une vue gravée du  camp (!), j'ai toujours voulu croire qu'il s'agit d'un message dont la destination est une mise en garde.

Il a été déporté de Pithiviers vers Auschwitz par le convoi numéro 6, du 17 Juillet 1942, il n'est jamais revenu.

Ma mère et moi étions en famille, à Paris le 16 juillet 1942. Ma mère a pensé qu’il était urgent d'aller chercher chez nous des vêtements dont je peux avoir besoin. La police était là. La rafle du Vel’ d'Hiv. Nous avons été arrêtés et conduits dans ce Vel’ d'Hiv resté gravé dans ma mémoire. J'ai un souvenir noir et bruyant de cris effrayants, des gens partout, en haut, en bas, de bruits de foule désespérée, de pleurs.

Vous imaginez bien que ce souvenir est confus, lointain, je n'avais pas quatre ans.

Puis, comme beaucoup, nous avons été transférés à Beaune la Rolande. Le seul souvenir que j'ai de ce camp, est celui de ma mère, à l'arrière d'un gros camion (les camions sont toujours gros à cet âge là), me tendant les mains, je suis dans les bras de quelqu'un et le camion est parti.

C'est la dernière fois que j’ai vu ma mère. Je n'avais pas quatre ans. Ma mère a été déportée de Drancy vers Auschwitz par le convoi numéro 16 du 7 août 1942, elle n'est jamais revenue.

L'histoire de mon miracle.

Ma tante Miki à qui je dois mon destin, il y a environ quinze ans (plus de 45 ans après les faits) pour la première fois en ma présence, a raconté à mon épouse l’épopée de ma délivrance.

Jusqu'alors, je ne connaissais « ma libération » que par ce qu'il a été dit dans ma famille.

Ma tante à l'époque des faits était une jeune femme que le destin a frappée. Cette très jeune femme était déjà veuve, son mari ayant été tué dès le début de la guerre, ce qui lui a donné droit à se prévaloir du statut de veuve de guerre. Ce statut qui, elle-même internée à Drancy, lui  a permis d'en être libérée.

A Drancy, elle a appris que deux de ses neveux et une nièce (deux cousins et moi-même) étaient internés. Dès sa sortie du camp, elle a décidé d'aller voir les autorités allemandes pour leur demander notre libération. Arborant l'étoile jaune, elle s’est rendue avenue Foch où se tenait un état major des autorités allemandes.

Cette jeune femme, l'étoile jaune sur la poitrine, est entrée dans cet immeuble gardé par des soldats allemands en uniforme ; dans le hall du bâtiment, l'inscription « interdit aux Juifs et aux chiens » était bien en vue. Malgré cela, elle a eu l'audace inconsciente d'entrer et a demandé à voir un responsable concerné par le camp de Drancy.

Sous les regards goguenards et les quolibets, a-t-elle raconté, elle a été conduite dans le bureau d'un homme immense, très important, criant très fort lui demandant comment elle osait se présenter ici, que non seulement il ne répondra certainement pas à sa demande, mais qu'elle-même allait nous rejoindre dans l'instant.

Là-dessus, racontait-elle, elle s'est effondrée et s’est mise à pleurer. Alors, elle ne sait pas pourquoi, mais l'attitude de cet homme a changé. Il lui a dit qu'il ne pouvait plus rien pour mes deux cousins Evelyne et Charles Plywak, dont les noms étaient sur les listes de Drancy, départ en direction des camps de la mort dès le 28 août 1942, convoi 25, et du 2 septembre 1942, convoi 27.

De ses neveux, encore à Drancy, il ne restait que moi et a décidé que je serai libéré, sans raison, de son fait, simplement de par sa bonne volonté.

Son seul problème immédiat, était qu'il est inconcevable que ma tante ressorte par la porte d'entrée, personne ne comprendrait pourquoi, avec une étoile jaune, une Juive, ressorte libre. Ce responsable l’a fait sortir par une issue dérobée et lui a demandé de m'attendre dès le lendemain, l'aventure audacieuse et courageuse de ma tante, s’est terminée comme dans un mauvais roman.

J’ai été libéré de Drancy le 24 octobre 1942 sur l'ordre des autorités allemandes, j’avais quatre ans. D’août à octobre 1942, j’étais seul à Beaune-la-Rolande et à Drancy, je ne sais qui  s'occupait de moi, il me semble me souvenir d'un homme portant une casquette, j'ai des images de lieux, les châlits, le camion d'eau (!), les latrines et l'odeur de chaux vive.

De ces quatre mois de ma petite enfance, je n'ai aucun souvenir de joie ou de tendresse, de jeux ou de rires, mais ils existent dans ma chair, ils sont très lourds.

Pourquoi ce destin m'était-il échu, est resté le grand questionnement de ma vie !

Puis il restait à survivre pendant les années de guerre à venir, pour ensuite vivre une enfance avec l'étiquette « orphelin » sur le front.

La suite est aussi une histoire à raconter, de Drancy à la zone dite « libre », de la zone libre à la Suisse, de la Suisse au retour en France, dans une famille décimée et le poids de ces événements que je porte toujours.

C'est un autre témoignage.

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