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Témoignage sur Jakob Jacques Garnek convoi 5

Jakob Lejb GARNEK est né le 14 février 1904 à Jadów, un village situé à une soixantaine de kilomètres de Varsovie en Pologne (Russie à l’époque).

Dans les années 20, il émigre en France, fuyant la misère et les pogroms, accompagné de sa sœur et ses frères afin de rejoindre leur père qui est déjà installé à Paris.

Il francise son prénom et se fait désormais appeler Jacques. Il réside rue Paul Albert au pied de la butte Montmartre avec son père, sa sœur et ses frères.

Il épouse Rebecca (dite Yvonne) Goldberg à la mairie du 18e arrondissement le 18 mars 1926. Parisienne, Yvonne est sténo-dactylographe, ses parents sont tailleurs tout comme Jacques.

Après leur mariage, le couple s’installe dans le quartier des Batignolles, rue Condamine. Au printemps 1931, Yvonne donne naissance à un garçon, qu’ils prénomment Claude.

En cette année 1938, les tensions sont à leur comble en Europe. Dans ce climat sinistre, un premier drame vient frapper Yvonne et Jacques. Le petit Claude est rongé par la maladie, une leucémie l’emporte en décembre 1938 à l’âge de 7 ans.

Septembre 1939, la guerre est là. Jacques s’engage dans la légion étrangère. Il est instruit au camp de la Valbonne dans l’Ain. Son régiment participe vaillamment à la campagne de France avant d’être dissous après l’armistice.

Démobilisé, Jacques retourne à Paris. L’ambiance est nauséabonde, les lois et décrets anti-Juifs se succèdent (recensement, exclusion de la fonction publique, tampons sur les cartes d’identités, panneaux dans les magasins…).

Le 14 mai 1941, il est invité à se présenter « pour examen de situation ». Pensant qu’il ne s'agit que d'une formalité administrative, il s’y rend comme plus de de 3700 juifs étrangers. Il est arrêté et déporté le jour-même avec son frère Jan au camp d'internement de Beaune-la-Rolande dans le Loiret.

En juillet, il est transféré avec quelques centaines d’autres prisonniers dans des fermes abandonnées situées à une cinquantaine de kilomètres au sud de Beaune-la-Rolande, plus précisément la ferme du Ousson située entre Vannes-sur-Cosson et Isdes.

Jacques et ses compagnons d’infortune sont employés à des tâches sans réelle utilité comme creuser des fossés ou couper du bois. Il s’agit alors de « remettre les Juifs au travail » et assécher les marais de Sologne …

Le quotidien semble toutefois s’améliorer. Il peut envoyer et recevoir du courrier, qu’il fait parfois écrire par des camarades qui maîtrisent mieux le français.

Au fil des semaines, le régime se durcit. Jacques reçoit une dernière visite de sa femme début décembre 1941, avant l’interdiction définitive des visites. Sa dernière lettre de mai 1942 évoque une situation qui a beaucoup changé, « plutôt mal que bien ».

Jacques est déporté le 28 juin 1942 par le convoi 5 depuis la gare de Beaune-la-Rolande. L’embarquement se fait la veille entre 19 et 21h, il passe la nuit dans le wagon plombé entassé avec d’autres prisonniers ainsi que des femmes et des adolescents arrêtés dans les régions avoisinantes pour compléter le convoi.

Après plusieurs jours d’un voyage effroyable, Jacques arrive en Pologne, pays qu’il avait fui dans sa jeunesse.

Dans l’indescriptible enfer d’Auschwitz, il devient le numéro 43000. Jacques le « lion » (Leib en yiddish) s’éteint le 15 août 1942.

Sa sœur Fernande (Dajgi), ses frères Jan (Szlama) et Louis (Chaïm) ainsi que sa femme Fanny (Gitla) et leurs trois enfants Clara, Henri, Jean seront déportés et assassinés à leur arrivée à Auschwitz quelques semaines après.

Son épouse Yvonne de nationalité française, ne sera pas déportée. Elle se remariera en 1949 et décèdera à Paris en 1994.

Les lettres et photographies ont été conservées par sa nièce Germaine jusqu’à son décès en 2002, et sa petite-nièce Claudine par la suite.

Les lettres manuscrites sont visibles dans les documents ci-après

Lettres Ferme du Ousson, Loiret

Lettre 1 Lettre envoyée depuis Ousson à son frère Jan (Szlama) interné à Beaune la Rolande

Ferme du Ousson le 1er août 1941

Mon Cher frère

Je t’envoie ces quelques mots pour te dire que je vais très bien. De même j’espère que toi aussi.

Aussi puis-je te dire que je ne regrette pas Beaune la Rolande. Je pense que chez toi c’est toujours pareil de même que tu te débrouilles très bien. Je regrette de ne pouvoir voir Fernande qui va venir te voir, donc si Fernande vient à Beaune-la-Rolande, je te prie de bien vouloir lui dire que si elle a le courage, elle peut venir me voir car je la préviens que les communications sont très compliquées ; mais si Fernande ne pouvait venir je ne serai aucunement fâché. Tu donneras bien le bonjour à Tigier et à Leibert. Tu leurs diras que je suis très content d’être parti. J’ai au moins une certaine liberté que je n’avais pas à Beaune-la-Rolande.

J’espère qu’un jour prochain nous nous trouverons dans de meilleures conditions à Paris.

Tu donneras aussi mon adresse à Fernande pour qu’elle puisse m’écrire. Je n’ai rien d’autre à te dire.

Je t’embrasse.

Ton frère Jacques

Lettre 2 Lettre envoyée à son père et sœur, Ousson 15/12/1941

Ousson le 15/12/41

Cher père et chère Fernande,

Voila un bon moment que je ne vous avais pas donné de mes nouvelles.

Ma foi, il n’y a pas grand changement à Ousson, à part que les visites sont supprimées mais le reste est toujours au même point. Tu me demandes si nous avons les baraques chauffées, oui il y a suffisamment de bois dans les forêts de la Sologne pour nous chauffer. Par contre nous n’avons pas de lumière, dès que la nuit tombe nous restons dans l’obscurité et ça agit énormément sur notre moral…

Notre travail est de creuser des fossés et le travail de bucheron, ma foi ce n’est pas trop fatigant.

Yvonne a été voir Jacques la semaine dernière, elle a passé trois jours avec lui. En effet je sais que Jan est réformé mais il y a longtemps que je n’ai pas eu de ces nouvelles.

Vous serez bien gentils de m’envoyer des nouvelles de toute la famille.

Aujourd’hui c’est l’anniversaire de mon pauvre petit Claude chéri, qu’il repose en paix.

Tu me demandes s’il faut un ticket pour envoyer du tabac. Non, l’envoi est libre chez nous, comme le courrier. Merci, mais je n’ai pas besoin de tabac car nous touchons notre ration de tabac.

Je n’ai pas autre chose à vous écrire, ma santé est bonne, j’espère que chez vous tout le monde va bien.

Dans l’attente de vous revoir je vous embrasse bien par la pensée.

Votre Jacques

Bien le bonjour à toute la famille ainsi qu’à Georges si vous le voyez.

Merci

Lettre 3 Lettre envoyée à sa sœur,  Ousson (?) 20/01/1942

Mardi le 20/1/42

Chère Fernande,

J’ai enfin reçu ta lettre que j’attendais avec une telle impatience. Comment se fait-il que tu ne réponds pas plus vite que ça ? Je me demande maintenant qui est-ce qui va m’écrire lorsque tu seras partie. Ecris-moi pourquoi tu pars. N’as-tu pas pu trouver du travail à Paris ? Chez qui va rester maintenant notre père ? As-tu déjà reçu la bouteille ? J’ai remis la bouteille à cette personne vers Noël, comment se fait-il que tu ne l’as pas encore reçue ?

Donne-moi de tes nouvelles plus souvent. As-tu déjà expédié la couverture ? Ne m’envoie pas de linge, car je n’en ai pas besoin. Tu trouveras ci-inclus un certificat de présence au camp, pour aller toucher des allocations. Comment vas-tu ? Promets-moi de m’écrire de la nouvelle place que tu as trouvée. Szlama compte vous envoyer prochainement un lapin, il ne sait pas encore exactement quand. Chez moi, toujours rien de nouveau.

Il fait froid ici surtout la nuit.

Je vous embrasse tous, bien fort.

Garnek

Lorsque vous aurez reçu le lapin écrivez chez Brosse

Lettre 4 Lettre envoyée à son père et sœur – 24/4/1942 Ousson (?)

Vendredi le 24/4/42

Mon cher père et ma chère sœur,

Ces quelques mots pour vous dire que ma santé va bien et j’espère que ma lettre vous trouvera en parfaite santé, par la même occasion je vous prie d’excuser mon silence car ça fait bien quelques mois que je ne vous ai pas écrit. J’ai bien répondu à Fernande, à sa lettre qu’elle m’avait écrite de la campagne mais je n’ai jamais reçu de réponse. Avez-vous des nouvelles de Jan ?

Comment va toute la famille ? Et papa que fait-il ? Et toi Fernande travailles-tu un peu ? Chez moi c’est toujours pareil mais la situation chez nous a beaucoup changé, plutôt mal que bien. Mais on ne peut rien contre le destin. Espérons que viendront des jours meilleurs.

Je n’ai plus de nouvelles de Jan depuis quelques mois, je serais bien content d’avoir de ses nouvelles.

Dans l’attente de vous lire bientôt, j’embrasse bien Papa ainsi que Fernande, bien le bonjour à toute la famille.

Votre Jacques 

Références intéressantes

1 "La terre ne ment pas..." Le documentaire retrace l'aventure d'Émile Frajerman, fermes de Sologne évadé le 1er juillet 1942.

https://www.youtube.com/watch?v=V6iObR434ME

 « Une chaîne d’acier… » À propos de trois correspondances d’internés dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande Hélène Mouchard-Zay Présidente du Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive (CERCIL), Orléans.

https://books.openedition.org/pur/110972?lang=fr

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