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Hommage à Renée Sieradzki épouse Borycki par le CRIF

Hommage - Disparition de Renée Borycki, survivante de la Shoah

C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Renée Borycki, âgé de 93 ans, à Paris, le 6 juillet 2022. Renée était une enfant cachée pendant la guerre, elle a également échappé à la rafle du Vel d'Hiv. Francis Kalifat adresse, en son nom et au nom du Crif, ses plus sincères condoléances à son fils Alexandre Borycki, membre de la Commission du Souvenir du Crif, à sa famille et à ses proches.

"Renée Borycki, nom de jeune fille Sieradzki, est née le 16 juillet 1936. Elle n’avait que cinq ans quand son père, Mordka, a reçu le billet vert. Avec sa mère, Bluma, elle l’a accompagné le 14 mai 1941 au gymnase Japy.

Les débuts de la guerre

J’étais petite, mais cela m’a marquée à vie. Je ne comprends toujours pas qu’une petite fille de cinq ans puisse être tellement marquée par cette époque. Comme l’antisémitisme grandissait en Pologne, mes parents, qui venaient de se marier, ont décidé de venir en France. Mon père est parti le premier, a trouvé une place de coiffeur et Maman l’a rejoint. Elle s’est mise à travailler, dans la couture, chez les tailleurs. Je suis leur fille unique. Nous habitions rue Faidherbe, dans le XIème arrondissement. Je me souviens d’un papa merveilleux, qui rentrait du travail les poches pleines de bonbons et de petits jouets. Les quelques Juifs de notre voisinage se réunissaient très souvent chez Papa et Maman qui étaient très sociables. Je les entendais tout le temps parler des arrestations, je ne savais pas ce que c’était, mais je comprenais que quelque chose de dangereux arrivait. Quand je demandais pourquoi, Maman disait «tu ne comprendras pas ma chérie, c’est parce qu’on est Juifs». Qu’est-ce que ça voulait dire pour une petite fille de cinq ans ? Je les entendais parler jour et nuit des mesures contre les Juifs, de ces postes qu’on leur interdisait d’exercer. Papa et Maman pleuraient. Maman disait «nous aurions peut-être dû rester en Pologne avec la famille». Papa disait : «non, c’est pire là-bas». J’entendais ça sans arrêt. Une de nos voisines nous avait conseillé d’aller en zone libre, mais mes parents n’en avaient pas les moyens. Mes parents avaient été au recensement à l’automne 1940. Maman racontait toujours que derrière elle, dans la file d’attente, il y avait un prêtre catholique. Elle lui avait demandé ce qu’il faisait là, il avait dit «je suis juif de deuxième génération, je suis obligé de me faire recenser». De toute ma vie, je n’ai jamais pu répondre à un recensement.

La rafle du billet vert

Les billets avaient été déposés à partir du 9 mai. Un soir, tout le monde s’est réuni chez Papa et Maman. Ils ont commencé à discuter, ils savaient que des Juifs allaient être arrêtés. Mon père avait fait la demande pour être soldat, pour s’engager en 1939, mais cela avait été refusé. Il disait qu’il fallait se rendre à cette convocation au gymnase Japy, qu’il était honnête, qu’il ne sentait pas coupable de quoi que ce soit. Nous sommes partis tôt le matin, tous les trois, puisque personne ne pouvait me garder. Papa a été poussé à l’intérieur par la police française. Je suis restée sur le trottoir pendant que maman récupérait dans un bureau une liste d’effets indispensables à aller chercher à la maison. Nous y sommes allées toutes les deux, nous marchions en silence, impressionnées toutes les deux. Elle a fait une petite valise et nous sommes retournées au gymnase. Maman croyait qu’on allait lui montrer Papa. On lui a juste pris la valise et son nom et on lui a ordonné de partir. Elle demandait ‘mais vous les emmenez, qu’est-ce que vous faites ?’. Ils ne répondaient pas, ils donnaient des coups. Elle m’assurait qu’il allait revenir. Nous sommes rentrées à la maison et la période la plus noire de ma vie a commencé. Papa n’était pas là, maman pleurait tout le temps, elle n’avait pas de travail. Nous étions enfermées comme des malheureuses.

Le camp de Pithiviers

On nous a fait savoir que Papa avait été envoyé dans un camp d’internement à Pithiviers. Elle a eu le droit de le voir une fois. Elle m’a emmenée. Elle avait emporté à manger et des vêtements de rechange. Nous étions assis par terre, séparés des barbelés. Après il a été envoyé le 17 juillet 1942 à Auschwitz-Birkenau par le convoi n°6, et là, inutile de dire que nous ne l’avons plus revu. Et encore, il est parmi les survivants. Il est revenu, dans un triste état, mais il est revenu.

La rafle du Vel d’Hiv

Un soir, on a entendu la police française demander au gardien d’aller chercher un outil pour casser les portes, elle devait poser des scellés. Nous n’avions personne chez qui aller. Maman était montée avec moi chez des voisins, un jeune couple français tout gentil, parents d’un bébé de quelques mois. Ils nous disaient qu’ils voulaient nous aider, mais qu’ils ne le pouvaient pas. Maman s’est souvenue qu’une cousine de Papa habitait à Livry Gargan : ils n’arrêtaient pas encore les Juifs là-bas. Le voisin avait d’abord décidé de « préserver la petite » : il avait arrangé un drap qui communiquait à la fenêtre pour que je puisse m’échapper. La police est arrivée. Notre voisin nous a cachées sous une couverture chez lui, on entendait la police en-dessous poser des scellés chez nous. Nous n’avions plus de maison. Le lendemain matin, le voisin nous a demandé de partir, il ne voulait pas risquer la vie de son enfant. Maman se demandait comment s’enfuir avec moi alors qu’on emmenait tout le monde dans la rue. Le voisin était grand, très svelte, avec un chapeau. Avec son allure distinguée, il ressemblait aux policiers de l’époque. Alors ce monsieur lui a proposé de sortir et de marcher derrière nous : « Si on vous arrête, je ne vous connais pas. Si on a la chance de passer, on verra ». Nous sommes allés ainsi jusqu’à la place de la Nation. C’était noir de policiers. Je me souviens encore de ces petits enfants avec leurs parents, de la police française qui brutalement les mettait dans des camions. C’était le 16 juillet 1942, le jour de mon anniversaire. Nous sommes montés dans le métro, notre voisin nous a accompagnées, toujours à distance. A l’église de Pantin, il nous a mises dans un bus avant de nous laisser.

Une enfant cachée dans un cagibi

Nous sommes restés quelque temps chez cette cousine à Livry-Gargan. Elle était méchante, elle échangeait les quelques bijoux que ma mère avait pu emporter contre un peu de nourriture. Je pleurais tout le temps la nuit, j’avais tellement faim. Alors qu’un jour, nous sortions avec maman et les enfants de la maison, une voiture de la Kommandantur est arrivée. Ils ont arrêté ma cousine. Avec maman, nous errions dans la rue, nous ne savions pas où aller. Elle est entrée dans la roulotte de la gitane qui lisait dans les lignes de la main, lui a demandé si elle connaissait quelqu’un qui pourrait nous accueillir, en prétextant que j’avais la coqueluche. La gitane nous a emmenées chez sa mère. Sur le chemin, nous avons à nouveau échappé à une arrestation. Le lendemain matin, quand la mère de la gitane a compris que nous étions juives, elle nous a chassées en hurlant.

À nouveau, nous étions à la rue. Une dame nous observait, elle connaissait la cousine. Elle s’est approchée. Nous sommes montées chez elle, elle a pris la décision de nous garder. Mais elle avait peur elle aussi. Elle nous a cachées dans un cagibi avec un lit pliant, jour et nuit. Nous y sommes restées deux ans et demi, dans une misère noire. Nous n’avions rien à manger, puisque la dame n’avait qu’une carte d’alimentation pour nous trois – ma mère ne pouvait plus utiliser la sienne, il était marqué juif dessus. Elle était exceptionnelle, elle était une Juste.

Une fois, Maman a risqué sa vie pour m’emmener à l’hôpital parce qu’elle avait remarqué que mes os se déformaient. Elle avait une amie juive qui avait un ami catholique. Ce dernier a pris un rendez-vous à l’hôpital Bretonneau dans le XVIIème arrondissement de Paris, pour que je puisse avoir un corset orthopédique afin de tenir dans ce cagibi jusqu’à la fin de la guerre. Il m’a mise dans un camion à 5 heures du matin. Nous avons attendu l’arrivée du médecin. Nous sommes entrés dans la consultation, ils ont expliqué que je vivais dans des conditions difficiles, le médecin a mis la main sur le téléphone et leur a dit que si nous ne sortions pas immédiatement, il appelait la Kommandantur. Il leur a aussi dit que je n’avais pas besoin de corset orthopédique puisque, de toutes façons, je brûlerais dans les crématoires.

Le retour de Mordka

Mon père, en revenant, s’est adressé à un cousin qui tenait un magasin de chaussures faubourg Saint-Antoine. Nous vivions avec Maman dans un hôtel, où elle pouvait travailler la nuit sur une machine Singer. Le cousin est venu avec la nouvelle que Papa était vivant. Nous étions folles de joie. J’avais l’image de Papa avant la guerre. Un monsieur est arrivé, très maigre, dans un costume noir. Je me suis collée au mur de la chambre et j’ai crié : « Ce n’est pas mon papa. Je veux mon papa ». Mes parents pleuraient. Il n’y avait rien à faire, je ne voulais pas qu’il me touche, qu’il m’approche. Il est resté avec nous à l’hôtel, mais je ne m’habituais pas à lui. Un jour, il s’est ouvert la gorge. Je ne le reconnaissais pas, les gens à qui il racontait les camps ne le croyaient pas, disaient qu’il exagérait. On l’a soigné à l’hôpital Bichat, celui des déportés, il s’est remis. J’ai compris que ce papa qui avait existé n’existerait plus. Nous nous sommes habitués. Petit à petit. Il ne voulait plus jamais être coiffeur, il avait été coiffeur à Auschwitz. Il a été embauché comme tailleur. Il s’est récupéré difficilement. Il ne vivait qu’avec la déportation. Il passait son temps à recevoir des déportés, à parler de la déportation. Si nous parlions d’autre chose, il disait ‘de quoi vous parlez ? de vos banalités ?’. Il restait devant la fenêtre à regarder, il ne voyait que des choses horribles. Après tout cela, c’est difficile de croire en Dieu."

 

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