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Extrait des mémoires de la petite-fille d'Isak Juris, nièce de Louis Juris convoi 13, Liliane Juris, dont elle porte le prénom, la mémoire…....la sépulture

Il a suffi d’un coup de tampon sur ses papiers d’identité 

Pour sceller son destin.

Mon grand-père, confiant et respectueux des lois françaises s’est rendu à la Mairie de Caen après avoir reçu une convocation ; 

Il a tendu ses papiers à l’officiel d’état civil qui d’une main lourde, d’un geste sec et précis a apposé un grand J sur une partie des papiers de la famille.

Et le train s’est mis en route 

Pour Compiègne

Un camp de transit

Pour d’autres ce n’est qu’une forêt

Où poussent les jonquilles dès le début du printemps

Que ce soit à Compiègne, à Borne la Rolande ou à Pithiviers,

Ces jolis villages où ça sent si bon la France

Paysages verdoyants des campagnes normandes

Où je suis née

Inondées de lumière et de fleurs sauvages

Laisseraient presque penser aux vacances

Le temps de mon enfance……………… 

Tu pousses le caillou sur la marelle 

En sautant sur un pied

Le temps d’un souffle………………..

Une gare fait irruption dans la campagne sereine

J’entends des hurlements et des aboiements 

Et les portes des wagons se referment dans ce vacarme de ferraille

Au son des cravaches qui sifflent et des bottes qui claquent sur les pavés

Je ne vois plus que des yeux

Des milliers d’yeux hagards qui se regardent

Où nous emmène-t-on ?

A Pitchi Poï

Destination inconnue alors

Le J fait place à un numéro

Marqué au fer rouge sur le bras gauche

J’entends encore des cris

Des pleurs

Puis le silence

Dans la nuit et le  brouillard

Mémoire

Miroir d’un passé proche

Qui nous entraîne

Dans les catacombes 

De l’inhumanité

Histoire qui ne trouve

Dans ma langue maternelle

Aucun mot

Pour écrier

Seule la terre 

Murmure

Sans cesse

Derrière le chant d’un ruisseau

Sous la mousse des arbres

Au sommet des clochers

La verte campagne 

Te raconte sans fin

Leur souffrance

Au-delà de son insouciance

Ecoute 

Le merle chanteur

Le roulis des vagues

Sur les plages du débarquement

Ecoute

Les cloches de ma ville de Caen

Sonner à toute volée

Ecoute

En sourdine

L’histoire d’hommes, 

De femmes et d’enfants

Qui ont cru 

En la liberté

L’égalité

La fraternité

Dans ma mère patrie

Ecoute

Aime la vie 

Aime l’instant

Aime l’humain

(Extrait suite Liliane Juris)

Je vous invite à voyager avec moi dans ma mémoire :

15 décembre 1952

Le train de minuit une minute arrive à Caen

Ecoutez-le entrer en gare, glisser puis freiner sur les rails, la locomotive crache ses dernières fumées.

Bienvenue dans ma Normandie natale.

Caen 1952

Les dates figent le passé qui continue sa route dans notre mémoire. Il suffit d’une odeur, d’un regard, d’un objet, d’un mot, d’un bruit pour revenir sur les pas de nos souvenirs intemporels qui appartiennent à l’éternité.

On traverse un pont de pierre ou l’Orne couleur métal coule doucement, longeons la grande prairie chargée d’histoire. C’est là où l’on avait demandé à la population caennaise de se réfugier pendant les bombardements des alliés en 1945.

Mon père a roulé à toute allure à bicyclette pour sauver sa peau et combien d’autres ont péri en courant vers cette prairie qui est devenue aujourd’hui un champ de courses hippiques.

Et moi je n’ai connu de cette prairie que des champs d’herbes folles tachetés de coquelicots, des chemins en terre et un vendeur ambulant de glace.

Suivez-moi vers un pâté d’immeubles de la rue de l’'Arquette, arrêtons-nous au 14; c’est là où je suis arrivée sur terre jonchée sur une bassine de bakélite pour atteindre l’évier,  « Monte là-dessus et tu verras la vie ».

Je suis LILIANE

Un prénom donné d’après mon oncle LOUIS disparu en déportation à 16 ans à AUSCHWITZ, le prénom de Louise n’étant plus à la mode, le féminin de sa mémoire devint LILIANE

Je suis donc sa mémoire.

De LOUIS, je connais si peu.

Il me regarde en silence de ses yeux noirs sur une photo d’identité agrandie qui trône sur le buffet de ma grand-mère JURIS ;

Visage allongé et harmonieux, cheveux châtains crépus, grosses lunettes en écailles, il parait avoir 18 ans à cause de sa cravate rayée et son costume en tweed et ses yeux tristes et brillants qui regarde l’objectif d’un photographe de quartier pour une simple photo d’identité, la dernière peut-être pour être recensé à la Mairie de CAEN comme Juif comme l’ont imposées les récentes lois de VICHY ?

Que reste-t-il de LOUIS ?

Quelques livres de JULES VERNE reliés et empruntés à la bibliothèque de la ville, quelques disques microsillon 78 tours de Charles TRENET, Maurice CHEVALIER et du jazz glissés dans des pochettes de papier kraft, deux tomes d’encyclopédies Larousse vert foncé, une collection pas terminée, une lettre tendre écrite à une jeune fille prénommée Marthe prête à être postée………. Une dernière lettre de Compiègne……………… une date de départ, un numéro de wagon et son nom et prénom figurant dans la liste sans fin des déportés juifs d’AUSCHWITZ.

Etait-il grand comme mon fils ?

Passionné de science-fiction comme le laisse croire ces romans « 20000 lieues sous les mers, voyage autour de la lune. »

Aimait-il danser ?

Ses rêves d’adolescent l’ont-il suivi dans le convoi numéro 13, le 31 JUILLET 1942 qui l’emmenait dans un de ces wagons à bestiaux vers un « camp de travail »….

Ma grand-mère raconte qu’ayant vu son père entrer dans le camp il se serait précipité dans ses bras et aurait était abattu par un garde nazi du haut d’un mirador du camp avant d’atteindre mon grand-père.

Les circonstances de sa mort ont été traduites sur les listes minutieuses des nazis comme « mort d’une défaillance cardiaque » !

Je n’ai bien sûr pas connu mon oncle qui dans l’espace-temps aurait pu être mon petit frère et maintenant mon fils, j’observe chaque détail de la photo pour mieux le connaître scruter ses moindres rêves et

Espoirs, le silence de la pièce est juste rythmé par le tic-tac incessant de l’horloge de marbre rose qui exaspère l’attente inutile.

Louis s’est confondu avec l’endroit, l’espace et le temps qui oppressent ma mémoire, je ne saurai jamais qui il était, ce qu’il serait devenu avec l’âge, mon oncle vivant, un papa tendre un mari aimant et l’on m’a projetée dans ce monde avec ce bagage de douleur et d’attente.

Mais je refuse d’être LOUIS, lui a que l’on a arraché à son innocence. 

Je veux encore croire désespérément en l’homme……….

(Extrait suite….)

Liliane, mes parents m'ont donné ce prénom en souvenir de mon oncle déporté à Auschwitz à 15 ans, Louis. Je ne connais pas grand-chose de Louis dont la photo trônait sur le buffet de ma grand-mère Juris. Cheveux châtain frisées, lunettes écailles, avec un beau sourire figé. Quelques livres de Jules Verne, quelques disques microsillon 78 tours de jazz et de variétés dans des pochettes papier kraft, des culottes de golf en tweed à la tintin, deux encyclopédies Larousse vert foncé et des larmes de souvenirs familiaux.

Extrait

Mon père avait aussi souhaité être enterré dans le talith de son père, ce talith pieusement conservé a recouvert son corps d’une caresse paternelle éternelle.

Un talith bleu et blanc un peu jauni par le temps et l’histoire de la Shoah.

Bleu, Blanc, éclatant dans le ciel, le drapeau d’Israël, qui claque au vent.

Et je les vois tous deux s’éloigner, monter, se fondre et se confondre avec l’histoire d’Israël.

On entonne le Kaddish (la prière pour l’éternité)

Et le chant de l’espoir se mêle à la prière :

« Aussi longtemps qu'en nos cœurs,

Dans le monde qui sera renouvelé

Vibrera l'âme juive,

Il ressuscitera les morts et les élèvera à la vie éternelle 

Et tournée vers l'Orient

Aspirera à Sion……….

La terre rouge de mes ancêtres a recueilli une partie des souvenirs et des souffrances de ma famille

L’autre partie reste encore en moi bien vivante et constitue

 Mes racines et mes ailes. 

Je suis une enfant de l’après-guerre

Je suis née juste après …..

LA CATASTROPHE !

Quand je suis arrivée sur cette terre, les récits des miens m’ont tout de suite plongée dans un monde d’inquiétude. 

On m’a tout de suite mise au courant de tout ce qui c’était passé avant, juste avant…..

Ma naissance.

Déportation, extermination, solution finale, ghetto, numerus clausus, étoile jaune cousue sur la poitrine. 

Il y avait nous, les Juifs et ………les autres, les goyim.

Deux mondes distincts ;

Mon école et mes voisins

Ma famille ; ou ce qu’il en restait……..

J’étais plongée dans un monde laïc dont il fallait se méfier pour son passé meurtrier,

Nous étions des Juifs errants face à un monde qui pour l’instant nous tolérait, le Vésuve antisémite s’était calmé mais il pouvait à tout moment renaître de ses cendres.

Le monde a classé la période de la SHOAH dans les archives de l’histoire mais nous enfants de l’après-guerre sommes témoins auditifs des récits de nos familles.

Savez-vous que la SHOAH a déshumanisé nos parents en décimant nos oncles, nos tantes, nos grands-pères et nos grands-mères ?

Mes survivants, mon père, ma mère, ont été souvent incapables de nous démontrer leur amour.

Ils ont tellement souffert, tellement supporté, tellement risqué, tellement pleurs, tellement espéré, tellement désiré, tellement vu l’inhumain, l’inimaginable, l’ineffable que leur cœur s’est tari, leurs mains se sont fermées et leurs yeux se sont éteints.

Résolument tournés vers l’avenir avec un espoir retreint, calculé, peu d’enfants, une mosaïque de cicatrices comme bagages, ils ont rouvert leurs mains pour recommencer à vivre et à travailler dur ayant pour seul héritage; des déportations, des larmes sans adieu et des souvenirs sans tombes.

Et je suis arrivée dans ce monde où rejaillissait encore de la bouche de mes parents la mémoire de la folie meurtrière antisémite.

Mutilés du cœur, ils n’ont pu nous donner que la force de nous battre en nous apprenant très tôt à nous débrouiller seuls, notion de survie, notion de détresse, mais de la vie au quotidien nous n’avons reçu pour armes que la haine du goy et l’amour d’Israël.

Ce pays lointain que Dieu nous a donné et qui nous rendait respectables en nous permettant de relever notre tête et de sortir de nos ghettos.

Privée de tendresse, élevée à la spartiate, j’ai fait mes premiers pas dans la vie avec une identité juive discrète. Prénom chrétien, éducation laïque avec dans le cœur des souvenirs de persécutions usurpés à mes ancêtres et une avidité de justice à fleur d’âme, une quête de tendresse et d’identification familiale non assouvie à ce jour.

Mais qui peut remplacer ceux qu’on nous a raflés, déportés, dépouillés, exterminés et enfin brûlés ?

Suis-je coupable de ne pas avoir été là et d’être enfin ?

Suis-je coupable de n’avoir pas partagé leur souffrance ?

Fallait-il que je me conduise en héros pour défendre à moi seule tout ce qu’on a fait subir aux miens ?

Fallait-il ne pas m’écouter, ne pas m’aimer, ne pas vivre parce que mon deuil se décline pour l’éternité ?

Fallait-il témoigner pour ce que je n’ai pas vécu ?

J’essaye de faire le tri entre moi et cette mémoire collective, mais ce chemin caillouteux m’oblige aujourd’hui à ralentir pour retrouver qui je suis et me reconstruire.

Pour mon père enfant caché l’ainé des 3 fils Juris (Arnold, Louis et Léon); j’étais la cadette bien que le souvenir de Louis, son frère déporté à 16 ans, lui avait fait désirer un garçon, mais incapable de faire son deuil sur ses souffrances passées, je l’ai côtoyé dans sa colère, ses peurs du manque et ses explosions de haine ; mettre ma main dans la sienne, un rêve d’enfant inassouvi pour me sentir protégée et guidée.

Longtemps j’ai suivi les traces de mes ancêtres et me suis conformé à l’éducation reçue, anti-goy, j’ai marché sur les traces du judaïsme pour me retrouver et je m’y suis perdue, j’ai lu des centaines de livres sur la Shoah, du Dernier des Justes à mein Kampf pour en retrouver insensément

Le sens.

 J’ai regardé chaque documentaire de la déportation pour retrouver les miens, en vain.

Aujourd’hui encore dans la paix que pourrait me procurer le recul sur le temps, je me cherche encore dans toute cette histoire….

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