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Convoi 6

MORGENSZTERN Szija

ÂGE

34 ans(27/02/1908)

VILLE DE NAISSANCE

Minsk/Berch(Biélorussie)

SEXE

Homme

MATRICULE

Inconnu

MORGENSZTERN Szijan'a pas survécu.

MINIBIO

Szija MORGENSZTERN est né à Minsk / Berch. Il était tailleur et demeurait à Paris 11e, 28, rue Basfroi. Il s'est engagé volontaire au début de la guerre. Convoqué par le Billet Vert, il a été arrêté le 14 mai 1941 et interné. Il était marié à Zisla FINKIELSZTEJN. Elle a été déportée. Leur fils a échappé à la déportation.

Témoignage sur Szija Morgensztern convoi 6 par son fils Armand Morgensztern

Mon père Szija MORGENSZTERN est né le 27 févier 1908 à Minsk en Pologne. Il est arrivé en France en 1931. Il a épousé Zisla FINKIELSZTEJN, née le 1er mai 1910 à Minsk.

A la fin de la visite aux détenus de Pithiviers, je ressentis brusquement la nécessité absolue de me précipiter à l’extérieur du bâtiment où nous avions pu les rencontrer, pour me remplir de l’image de mon père qui s’éloignait, comme si cela devait être la dernière fois. La permission – paradoxale – de venir le voir nous avait été donnée par les autorités policières françaises.

Mon père, confiant, s’était rendu au gymnase Japy après avoir reçu une convocation de la Mairie du XIe arrondissement de Paris et malgré les avertissements d’amis venus la veille de ce jour funeste, il se croyait protégé par son statut d’engagé volontaire dans l’armée française ! Tous ceux qui, comme lui confiants en la France, avaient obtempéré se sont trouvés piégés et envoyés en camp d’internement à Pithiviers ou à celui de Beaune-la-Rolande.

Mon père … Les souvenirs sont si lointains et me reviennent en désordre : il me prend dans ses bras, me fait tournoyer, m’embrasse et je me débats ; il va m’offrir un vélo, cadeau extraordinaire et achète un martinet dont il ne se servira jamais ! J’étais turbulent c’est vrai, discutailleur et capricieux et je me souviens d’une grosse colère contre laquelle, pour une fois, ma mère ne s’était pas opposée.

Le Front Populaire a laissé des traces dans ma mémoire : je suis juché sur les épaules de mon père, il y a beaucoup de monde, des bruits et des chants ; je vois aussi des tribunes avec des escrimeurs ; tout se mélange aujourd’hui dans ma tête ! Et puis souvenir d’un comportement incompréhensible aujourd’hui et difficile à assumer, tout à coup je fuis mon père, je refuse ses baisers, je ne lui parle plus, je le boude et l’ignore. Et cela a duré longtemps. Pourquoi ?

La guerre approche, c’est l’exode. Nous prenons le train et partons pour un petit village en Loire: Troo c’est le nom et il n’est pas inventé ! Mon père est resté à Paris, mais il vient nous voir. Je me rappelle qu’il adorait le fromage de chèvre.

La guerre déclarée, il s’engage alors et doit rejoindre son régiment. Ma mère et moi l’accompagnons à la gare de l’Est, le voyant monter dans le wagon, je me jette soudain sur lui, l’embrasse et pleure, inconsolable et triste à en mourir de le voir partir. La guerre est là, je pense à lui et pour combattre ma peine je me raconte des histoires de Mickey…Procédé auquel je recourrai, hélas, souvent par la suite.

La guerre s’enlise, il ne se passe rien, c’est la drôle de guerre ; mon père vient en permission et puis tout s’emballe : les Allemands sont à Paris et s’éparpillent dans la ville ; dans une épicerie où je suis avec ma mère, deux soldats allemands entrent et malgré mes réticences m’offrent du chocolat !

Aucune nouvelle de mon père, je ressens comme un grand désordre, c’est la défaite et on parle du Maréchal Pétain. Les jours passent, je sais ma mère inquiète, il n’y a pas d’argent mais elle parvient à vendre des chutes de tissus. Curieusement la somme est restée gravée dans ma mémoire : vingt francs.

Et puis un jour sortant dans la rue, je tombe sur mon père qui revient de la guerre habillé en civil, mal rasé mais quel bonheur de le retrouver, quelle joie et je cours en avant l’annoncer à ma mère et le crier dans tout l’immeuble !

C’est l’occupation avec ses rumeurs, les propos tenus à voix basse.

Mon père et ma mère de couturiers pour femme deviennent gantiers et apparemment tout redevient comme avant. L’école reprend et Pétain y fait distribuer des pastilles vitaminées et des gâteaux.

Un souvenir marquant très fort et toujours présent me reste de cette époque. Je ne sais pourquoi mon père, un jour, me parla d’Abraham alors que ma judéité n’avait jamais été de nature religieuse et que mes parents élevés pourtant dans la stricte tradition juive ne suivaient aucun des commandements de la cacherout. C’est alors que mon père me dit: « Abraham était parfait, il n’a jamais menti ». Ce propos me frappa très profondément et moralement, joua un rôle capital dans la vision que j’avais de la vie, non pas que j’eusse été tenté par le mensonge mais je crois que j’avais compris que l’Authenticité, le Vrai étaient les qualités majeures de l’existence, ce qui me valut quelque tourment plus tard quand, prié de surveiller mes camarades de classe, je ne pouvais me résoudre ni à les dénoncer, ni à travestir la réalité !

Mais cette apparente quiétude se fissurait et je sentais l’avenir devenir menaçant. Mon père a été interné à Pithiviers, puis mon oncle, frère de ma mère, a été raflé à son travail et parqué à Drancy. Ma mère en juillet 1942, m’e confié  à une famille juive française qui habite à Vigneux proche de Paris. On la croyait à l’abri des arrestations.

Les événements s’accélérèrent, ma mère échappa miraculeusement aux rafles du Vél’ d’Hiv et arriva précipitamment à Vigneux, m’a donné des objets que mon père a fabriqués au camp et dédicacés à mon nom : un bateau et une canne-hache. Elle m’a annoncé sa déportation. J’ai eu immédiatement la conscience aiguë de la gravité que représente cette nouvelle et pris d’un immense chagrin, j’ai couru me cacher pour pleurer et pleurer encore.

Mon père n'est pas revenu et ma mère arrêtée un an plus tard disparut à son tour à Auschwitz. déportée le 7 décembre 1943 par le convoi N° 64 parti de Drancy.

 
   

Photos et documents personnels de Szija Morgensztern convoi 6

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