Belleville-Auschwitz-Belleville, Henri Badower, déporté du convoi 5 par son fils Gérard Badower. Commentaire de Marie-Paule Hervieu
Belleville-Auschwitz-Belleville, Henri Badower, déporté du convoi n°5. Gérard Badower, Editeur, La mémoire du XXème siècle, 2006.
Le livre écrit par Gérard Badower, fils d'Henri Badower, déporté le 28 juin 1942 à Auschwitz, rescapé, décédé le 14 juin 1987 est un beau texte de mémoire et d'histoire. C'est qu'en effet il retrace et même cartographie 1'itinéraire d'Henri (Hersz Lajp) à travers l'Europe de 1923 à 1945. Très jeune immigrant juif, venu de Pologne avec sa mère, Pesa
Balberman, il arrive à Paris, à la fin de l'année 1923, pour y rejoindre son père Szlama Badower, venu un an plus tôt. Ce dernier les abandonne et le jeune Henri sera élevé par son père de coeur, Samuel Kaufman, lui aussi Juif polonais.
Le livre décrit et montre, par des photos, ce que fut l'enfance d'Henri dans le quartier populaire, et à forte composante d'immigrés juifs, de Belleville, où son beau-père était boulanger et où l'on parlait et lisait le yiddish (Naye Presse). Enfance pauvre mais forte de ses amitiés de rue et d'école, forte aussi de 1'affection de ses parents, au sein d'une famille juive, laïque, devenue nombreuse avec les naissances d'une petite fille(morte à l'âge de 2 ans) et de trois garçons: Edmond, Adolphe dit Alain et Léon en 1931, 1932 et 1935.Henri adolescent eut les premiers engagements d'un jeune ouvrier (tourneur), juif et communiste, soit l'appartenance au YASK (yiddishe arbeter sport) club affilié à la FST-CGTU et un soutien déclaré au Front populaire et à l'Espagne républicaine ; il était aussi membre de la LICA (et à partir de 1949 du MRAP).
Gérard Badower fait un travail d'historien en replaçant la biographie de son père dans un contexte politique, il publie en annexes une chronologie de la persécution des Juifs sous Vichy (entre le l0 juillet 1940 et le 11 novembre 1942), le texte des lois antisémites d'un régime qualifié de "criminel" (p. 41) et rappelle les conditions de création et de fonctionnement de l'UGIF et son "rôle inhumain" (p. 47).
Henri Badower et son beau-père "Schmile" furent arrêtés le 14 mai 1941, avec plus de 3 700 Juifs étrangers, par la police française, et transférés à Beaune la Rolande ; le texte décrit et illustre ce que furent les conditions d'internement dans un des 200 camps ayant existé en territoire français, jusqu'à ce que Henri et ses camarades soient dispersés ou déportés, ce sera le 28 juin 1942, dans un convoi de 1038 hommes et femmes. L'univers concentrationnaire fait l'objet de 2 chapitres car Henri Badower (matricule 42801) survécut à 5 camps : Auschwitz I, II (Birkenau), III (Buna-Monowitz) puis Sosnowitz (à partir du 4 mai 1944) et enfin au terme d'une marche-train de la mort, Mauthausen-Gusen II.
Il y a là une remarquable description, précise et détaillée, de ce que fut le quotidien mais aussi 1'extrême violence vécue dans les camps, à laquelle s'ajoute l'expérience du travail
concentrationnaire dans plusieurs kommandos, "lourds ou plus légers", mais toujours "au service des industriels et militaires allemands".
Gérard Badower écrit ce que fut le témoignage oral de son père ainsi que les conversations avec des camarades rescapés : Charles Palant, Robert Waitz qui eurent eux aussi la chance d'échapper aux sélections alors que d'autres, tel Yutek, étaient victimes de pseudo-expériences "médicales". II reprend les récits de Robert Chazine (Juif résistant) et Roger Collignon (otage communiste déporté par le convoi politique du 6 juillet 1942).
Henri Badower fut évacué de Sosnowitz, le 16 ou 17 janvier 1945 avec 1500 à 1800
personnes, et au terme d'une destructrice marche de la mort, arriva à Mauthausen -Gusen II), il n'y avait plus alors que 110, 115 survivants. Il fut enfin libéré par les Américains le 5 mai 1945 et, de retour à Paris 1e 18. Ce furent les retrouvailles avec son beau-père et ses trois frères cachés en Bretagne, sa mère et son père "biologique" avaient été déportés et gazés. Une autre vie commençait alors faite de travail, de famille et de reprise des engagements militants au PC (jusqu'en 1956) au MRAP, et aux côtés de l'État d'Israël ( à partir de 1967), jusqu'à la création de "Mémoire juive de Paris". Marié avec Claudine Nayman, en 1946, il eut deux enfants et vécut à Montreuil-sous-bois. Gérard Badower tente aussi d'évoquer l'histoire de sa famille maternelle, famille juive intégrée de longue date et de retrouver les représentants de la famille élargie des Badower.
Très attaché à la mémoire de son père et de la déportation juive, Gérard Badower, devenu
chirurgien–dentiste, exprime aussi de façon sensible et forte, les valeurs d'humanisme, de refus de toute forme de racisme et d'antisémitisme pour lesquelles Henri Badower fut engagé et dont il se fait, avec sa femme Annie, professeur d'histoire, à la fois le témoin et le passeur.
Marie-Paule Hervieu, septembre 2007