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Témoignage sur Chaïm et Moïse Wajnfeld convoi 6 par leur nièce Janine Lindenbaum

Moïse Wajnfeld, le doreur

Deux frères, un même destin

A mes petits-fils Virgil et Elliot

« Les visages et les gestes que nous traquons dans l’ombre des puits de nos mémoires... creusent notre souffrance autant qu’ils nous apaisent. »

Philippe Claudel (Le café de l’Excelsior)

Je suis Janine Lindenbaum, la nièce de Chaïm et de Moïse Wajnfeld. Je suis née en 1939 et n’avais  donc que 3 ans quand mes oncles ont été déportés à Auschwitz. Les lignes qui suivent, destinées à les arracher à l’oubli, ont été rédigées à partir des souvenirs qu’en avaient leurs sœurs, c’est-à dire ma mère Estera Wajnfeld et ma tante Tylla Wajnfeld et de quelques documents et photos qui me restent.

C’est en 1926 que mon grand père Jankiel WAJNFELD et son épouse Ruchla (née Glasman) ont quitté la Pologne pour la France dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions de vie. Ils avaient quatre enfants, deux filles, Estera et Tylla et deux fils, Chaïm, l’aîné, né le 5 mars 1902 et Moïse, né le 1er Janvier 1904. Tous les membres de la famille venaient de Varsovie, leur ville natale.

Dès leur arrivée en France, les Wajnfeld s’installèrent à Ménilmontant. C’était alors un quartier très populaire, pittoresque et très animé. Plus particulièrement, la partie qui est devenue beaucoup plus tard la ZAC des Amandiers, fourmillait de petits commerces et ateliers. On y trouvait de nombreux bistrots, boutiques d’alimentation, bougnats et ateliers d’artisans, dont beaucoup travaillaient jusque dans les courettes : fourreurs, tailleurs, tapissiers, serruriers, maroquiniers, blanchisseurs, etc. Tout le monde se connaissait et cohabitait sans problèmes.

Ce quartier de l’est parisien, extrêmement vivant, était constitué de petits immeubles à un ou deux étages, devant lesquels les marchands de quatre saisons alignaient leurs voitures à bras le long des trottoirs, une sorte de petit village en quelque sorte où de nombreux émigrants juifs d’Europe centrale se retrouvaient.

Les Wajnfeld s‘y sentirent bien, ils s’y installèrent et l’adoptèrent, bien décidés à s’y enraciner.

Une famille à Ménilmontant 

Les parents de Chaïm et Moïse étaient de condition très modeste. Ils avaient travaillé dès leur plus jeune âge en Pologne sans être scolarisés et ne parlaient que le Yiddish : Ruchla, la mère, était couturière à domicile, Jankiel, le père, travaillait dans la maroquinerie en cousant des doublures de sacs à main. Les fins de mois étaient difficiles. 

Ils trouvèrent à se loger au 20 impasse Touzet, impasse donnant rue des Amandiers, dans un minuscule appartement sombre et délabré où, je m’en souviens, quand j’y allais après la guerre, l’éclairage était encore au gaz et les WC sur le palier.

L’immeuble était situé à l’intérieur d’un périmètre que l’on a appelé plus tard l’ilot n°11 voué à la démolition pour cause d’insalubrité et qui, après l’expulsion des différents occupants (dont mon grand père Jankiel relogé temporairement à la hâte dans un baraquement) a été réduit en cendres par les pompiers de Paris pour servir à leur entraînement. 

Chaïm était horloger : il se fit immatriculer au registre du commerce et exerça son métier en qualité d’artisan.

A cette époque, beaucoup d’artisans travaillaient en chambre : l’atelier faisait partie de l’appartement.

Moïse, quant à lui était doreur-soudeur. Je ne sais pas si, comme son frère, il travaillait à son compte ou s’il était employé. Il se choisit un nouveau prénom : Maurice.

Avec sa femme Sarah (née Ways), originaire de Varsovie comme lui, ils eurent deux enfants : un fils, Isaac né à Paris le 4 décembre 1926 qui fréquenta l’école de la rue Tlemcen et une fille Régine, née à Paris le 26 Septembre 1937.

Moise (alias Maurice), sa femme et leurs enfants s’installèrent tout près de l’impasse Touzet, au 18 rue des Panoyaux, dans le XXème arrondissement, toujours au sein de l’ilot 11.

Chaïm Wajnfeld  n’eut aucun  problème pour s’intégrer. Il changea son prénom en Max et créa un petit atelier d’horlogerie situé non loin  du domicile de ses parents, au 26 de la rue Ramponeau. Il mena une vie tranquille et aida ses parents en contribuant à améliorer leur quotidien, tout comme le fit son frère et l’ainée de ses sœurs, Estera, qui avait trouvé un travail de mécanicienne dans la fourrure. Il se passionnait pour la photographie, les voyages …et la politique.

Estera qui était très admirative de son frère ainé, m’a dit qu’il était instruit. De fait, Il avait sans doute, comme son cadet, rapidement appris le français mais tout comme lui et ses deux sœurs, dont la cadette Tylla fut scolarisée jusqu’au certificat d’études dans une école du quartier, il  ne s’exprimait qu’en Yiddish avec ses parents qui ne parlèrent que cette langue leur vie durant.

En Septembre 1939 lorsque la France a déclaré la guerre à l’Allemagne, Chaïm, qui n’avait pas de charge de famille à l’instar de son frère, s’engagea dans la division polonaise de l’armée française où il combattit jusqu’à l’armistice en 1940.

Puis un jour, il  fit la connaissance d’une jeune femme, Nina, avec laquelle il se fiança. Nina était d’une grande gentillesse et se montrait toujours très prévenante envers les parents de Chaïm.

La vie était difficile, mais toute la famille était solidaire et tout allait bien jusqu’à ce jour de mai 1941, triste épisode de l’histoire de France.

La rafle du billet vert

Le 14 mai 1941, comme de nombreux autres coreligionnaires résidant à Paris, mon père Chaïm Polirsztok (dit Henri) et mes oncles maternels Moïse et Chaïm Wajnfeld reçurent une convocation imprimée sur un formulaire vert, leur demandant de se présenter, accompagnés d’un membre de leur famille ou d’un voisin, aux autorités françaises munis de leurs papiers, pour « un simple examen de leur situation ».

Je ne sais pas par qui mon père et mes oncles se sont fait accompagner, mais je pense qu’ils se sont très certainement présentés sans aucune méfiance aux autorités françaises. Moïse, qui avait obtenu sa naturalisation le 9 avril 1927, devait sans doute être particulièrement confiant.

Sur le lieu de rassemblement, ils eurent la désagréable surprise de se voir confisquer leurs papiers et d’être dirigés le jour même par un train spécial qui partait de la gare d’Austerlitz, vers un camp d’internement situé dans le Loiret à Beaune-la-Rolande.

Du camp de Beaune-la-Rolande à la ferme du Rosoir.

Au camp de Beaune-la-Rolande, les deux frères se trouvèrent dans la même baraque : la baraque n°5. Je ne sais pas ce qu’a pu être leur vie dans ce camp. Je sais que Chaïm a reçu le matricule n°1883 et Moïse le matricule n°1885. Sur les listes Allemandes, ils figuraient respectivement sous les numéros 728 et 729.

Aux dires de ma tante Tylla, les proches des internés pouvaient obtenir un droit de visite : ma mère a ainsi pu rendre visite à ses frères et à mon père et elle aurait même utilisé un droit de visite attribué à sa sœur pour aller voir mon père.

Le 1er août 1942, mon père réussit à s’évader. Malheureusement ses deux beaux-frères n’eurent pas cette chance.

Chaïm et Moïse étaient internés à Beaune-la-Rolande mais n’y restèrent que deux mois : ils se portèrent probablement volontaires lorsque de la main d’œuvre fut demandée pour aller travailler dans des fermes situées dans les environs.

Et c’est ainsi qu’ils se retrouvèrent tous deux à la ferme « du Rosoir », située non loin de Vannes sur Cosson dans le Loiret.

C’est en effet le 25 juillet 1941, qu’ils y furent transférés avec 89 de leurs compagnons d’infortune. Là, Moïse aura le matricule 2410 et Chaïm le matricule 2409.

Je ne sais pas quel travail leur fut attribué, vraisemblablement des travaux agricoles si l’on en juge par les bottes que portent les internés sur la photo où l’on peut voir mon oncle Moïse assis à l’extrême gauche.

Deux autres photos de Chaïm et Moïse, destinées à leurs parents ont été prises au Rosoir. Au verso, elles portent sensiblement le même texte écrit à l’encre violette. Pour Chaïm, c’est : « Le Rosoir, le 21 mars 1942, à mes chers parents, dans l’espoir de jours meilleurs ». Quant à Moïse c’est : « Le Rosoir, le 27 mars 1942, à mes chers parents, en attendant des jours meilleurs ». Textes d’espoir ou textes imposés par la censure des autorités ? Il semble que mes oncles se soient bien  habillés avec une cravate  pour poser pour ces photos destinées à leur famille .Mais la tristesse qui émane de leurs regards et l’état calamiteux de leurs costumes tout chiffonnés laisse deviner que la vie menée depuis leur arrestation était dure et angoissante.

Ils y restèrent jusqu’au 13 juillet 1942, date à laquelle on les interna dans le camp de Pithiviers.

17 Juillet 1942, 5 heures, un train : convoi n°6

Quatre jours après leur arrivée, le 17  juillet 1942, les deux frères firent partie avec 926 de leurs compagnons du même convoi n°6 qui, de Pithiviers les amena à Auschwitz où ils furent assassinés : Chaïm, le 10 octobre 1942. La date du meurtre de Moïse est inconnue.

Ce 17 juillet 1942 à l’heure précise où Moïse et Chaïm Wajnfeld, mes oncles, roulaient dans le train qui les amenait vers la mort, deux hommes firent irruption dans l’appartement de mes parents, au 2e étage du 34 rue des Partants, près de la place Gambetta pour nous rafler, ma mère, ma sœur et moi. A ma mère qui suppliait les fonctionnaires de police pour qu’ils lui laissent un moment pour préparer une valise, ils répondirent « dépêchez-vous, nous reviendrons plus tard », nous laissant ainsi le temps de fuir, de nous cacher et de passer en zone libre rejoindre mon père.

Mes oncles ne surent jamais que la femme, le fils et la fille de Moïse furent raflés pour subir un sort identique au leur. Le 3 août 1942,  Sarah fit partie du convoi n°14 qui partit de Pithiviers pour Auschwitz, Isaac fit partie du convoi n°36 qui partit de Drancy pour Auschwitz le 23 Septembre 1942 et Régine, qui venait d’avoir cinq ans, fut déportée le 22 août 1942 par le convoi n°22.

De mes deux oncles, il ne me reste que quelques photos et deux objets ayant appartenu à Chaïm : son tour d’horloger et son posographe.

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