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Lejbus ANKIERMAN convoi 6 par son fils Alain ANKIERMAN

Mon père est né le 1er novembre 1905 à Zelechow (Pologne). Il est arrivé en France en 1929. A  même village que lui : Zelechow. C’était un petit village à une centaine de kilomètres de Varsovie. Un shtetl comme on dit.

Ils ont eu deux enfants, Chaja le 12 Janvier 1931 et Samuel le 31 Décembre 1938, tous les deux nés à Paris 12e.

Mon père a eu trois vies, l’avant-guerre, la guerre, et ’après la guerre.

De sa première vie, je ne sais pas grand-chose du fait qu’il n’a laissé aucune trace, ni documents ni photos, excepté une qui doit dater des années 30, où je vois mon père et sa femme Perla en amoureux. Les documents que possédait mon père ont peut-être été volés pendant la guerre. De cette période il ne m’a jamais parlé, ni de la Pologne, ni de sa femme et encore moins de ses deux enfants, ma sœur et mon frère.

Mon père a laissé derrière lui sa femme Perla LISTEK née le 15 Mai 1906, sa fille Chaja 11 ans, et son fils  Samuel, 3 ans et demi. Tous arrêtés à la rafle du Vél’ d’Hiv le 17 juillet 1942, alors que lui était dans le train pour Auschwitz. Sa femme et sa fille sont parties avec le convoi 25 le 28 Août 1942, et son fils, seul, avec le convoi 34, le 18 Septembre 1942.

Après avoir été arrêté le 14 mai 1941 sur convocation du billet vert, il a été interné a Beaune-la-Rolande, puis à la ferme de la Matelotte du 25 juillet 1941 au 13 Juillet 1942. A la ferme, il a connu celle qui deviendra ma mère lors de visites des familles, le premier mari de ma mère Luzer BERNARD étant également dans cette ferme.

Ma mère était couturière, elle travaillait avec son mari. Ils ont eu deux enfants, Henri né le 4 Décembre 1934 et Thérèse, conçue lors d’une visite à la ferme de La Matelotte, née le 16 Mai 1943.

Luzer BERNARD est mort en déportation.

Mon père a été déporté par le convoi 6, le 17 juillet 1942 de Pithiviers. Il est arrivé à Auschwitz après 3 à 4 jours de voyage. Il est tatoué avec le matricule 49474. Il a fait partie des 93 survivants de ce convoi.

Au camp d‘Auschwitz Birkenau, il a fait différents travaux, mais il a principalement travaillé comme tailleur, jusqu’en septembre 1943. Après un peu plus d’un an dans ce camp, il a été envoyé « nettoyer le ghetto de Varsovie » de septembre 1943 jusqu’en août 1944, juste avant l’arrivée des Russes à Varsovie.

De Varsovie, il est parti à pied et en train vers Dachau où il est resté jusqu’à sa libération par les Américains le 30 Avril 1945. Il est arrivé à Paris à l’hôtel Lutétia le 17 Mai 1945, soit quatre ans après avoir été arrêté par les Français. A son retour, il a été hébergé chez monsieur SOJFER, au 72 rue des Tournelles à Paris.

Quatre années de douleur, d’horreur, de faim, de misère, de souffrance. Telle  fut sa deuxième vie.

De toutes ces années douloureuses, mon père ne voulait pas parler, il disait que ce qu’il avait vécu n’est pas racontable, les mots ou les paroles n’auraient pas été assez forts par rapport à ce qui s’était passé. Il avait une colère intérieure, une blessure plus que profonde, un dégoût de ce passé.

Je l’avoue, de ne pas l’avoir questionné, je le regrette maintenant. Tout ce que je sais aujourd’hui, je l’ai appris après sa mort, grâce à l’association du convoi 6, et à des témoignages. Je suis d’ailleurs à la recherche d’autres renseignements sur ce passé.

La ferme de la Matelotte était totalement inconnue pour moi. J’ai toujours entendu mon père me parler de l’internement de Beaune-la-Rolande, mais jamais de la Matelotte. De même ma mère, qui a pourtant dû y aller plusieurs fois.

Ma mère, Fajgla, née GRINCAJGIER, veuve BERNARD et ses deux enfants Henri et Thérèse, étaient cachés en France. Après la guerre, avec elle qui était couturière, il a repris son métier de tailleur. Moi je suis né 2 ans après la guerre de ce couple reconstitué (en concubinage), mon père avait alors 42 ans. Nous habitions au 83 bd Beaumarchais avec mon demi-frère et ma demi-sœur.

Ma mère est décédée le 25 Juillet 2007, elle allait avoir 98 ans.

Mon père travaillait beaucoup. Je pense que c’était aussi pour oublier. Très érudit, il lisait beaucoup, écrivait des articles pour la presse yiddish, participait à des réunions avec d’anciens déportés. Il a été très actif avec les anciens déportés et avec la société Kock Zelechow.

Ce qui a été le plus douloureux, et qui l’est encore pour moi, ce fut son décès tragique. Alors qu’il vivait une retraite paisible sur la Côte d’Azur, il fut renversé par une voiture à Cannes, le matin du 19 janvier 1990, sur un passage protégé. Il était parti comme tous les matins faire sa promenade quotidienne. Je n’ai pas pu le revoir vivant, il est mort presque sur le coup.

Il était venu à Paris quelques jours plutôt, je l’avais accompagné à l’aéroport, il m’avait dit qu’il était heureux de redescendre à Cannes, retrouver sa femme, qu’il se sentait bien et qu’ils vivaient heureux.

Après avoir passé tant d’années de souffrances, avoir survécu à ces terribles années, avoir perdu toute sa famille, sa femme, ses  enfants de 11 ans et 3 ans, mourir de cette façon est pour moi, encore incompréhensible, inacceptable.

Je  voudrais au moins penser qu’il est mort heureux.

C’était sa  troisième vie.

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