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Lejbus Ankierman convoi 6. Mise à jour 2022 par son fils Alain Ankierman

Avant de commencer à parler du parcours de mon père LEJBUS, je dois vous rappeler quelques dates et faits.

Octobre 1940, une ordonnance à la demande des autorités allemandes, Théodor Dannecker qui était le représentant en France d’Adolf Eichmann a imposé aux Juifs de se faire recenser. Ils devaient se présenter au commissariat de leur quartier afin de recevoir leur carte d’identité portant la mention JUIF apposée par un cachet rouge.

Mai 1941 1ère rafle, celle que l’on appelle du billet vert, 6 600 juifs sont convoqués seuls 3 500 se présenteront.

Juin 1941 interdictions aux Juifs de travailler dans la fonction publique.

Août 1941 confiscation des postes de TSF

27 Mars 1942 départ du premier convoi pour Auschwitz depuis Compiègne.

Juin 1942 Port obligatoire de l’étoile jaune dès l’âge de 6 ans.

Juillet 1942 Interdiction aux Juifs de fréquenter les lieux publics.

16 Juillet 1942 Rafle du Vel d’Hiv 3 128 Hommes 5 619 femmes et 4 115 enfants soit 12 862 personnes sont arrêtés et emmenées au Vel d’Hiv de Paris.

A partir de cette date l’extermination est lancée, les allemands voulaient  faire partir trois trains de 1000 Juifs par semaine pour l’Allemagne.

Il y a eu 45 convois en 1942, 17 convois en 1943 et 13 convois en 1944.

Il y a eu un peu plus de 76 000 déportés de France dont plus de 11 000 enfants, et il y a eu environ 3600 rescapés, dont mon père.

J’allais souvent au Centre de Documentation Juive Contemporaine, ancien nom du Mémorial de la Shoah à Paris avec mon père survivant des camps, pour des commémorations. Je savais qu’il avait été interné à Beaune la Rolande et à Pithiviers, puis ensuite déporté à Auschwitz, qu’il avait perdu sa femme PERLA et ses 2 enfants CHAJA et SAMUEL NATHAN, mais je ne savais pas ce qu’il s’était passé exactement, je n’avais aucun détail aucune date précise de ce qu’il avait fait, mon père ne me racontait rien. Ils parlaient avec des anciens déportés comme lui, mais jamais en ma présence, ou alors en yiddish. Il écrivait beaucoup d’articles dans la presse yiddish, il assistait à des réunions d’anciens déportés, entre eux ils pouvaient se comprendre. Je ne posais pas de question sur ces sujets-là. C’étaient des sujets tabous. Je me rappelle que la nuit il faisait des cauchemars et parfait il criait. Moi, je suis né après la guerre et je fréquentais les mouvements de jeunesse, le Dror, on parlait peu de la Shoah, on parlait beaucoup d’Israël et l’objectif était de faire son Alya.

Un jour en 2004, bien après la mort de mon père en 1990, j’ai décidé de visiter le musée du Mémorial de la Shoah et là, je suis tombé sur une photo de la ferme de la Matelotte que je ne connaissais absolument pas et il y avait le nom des personnes représentées sur cette photo, et j’ai découvert le nom de mon père. Je n’avais jamais entendu parler de ce lieu dans le Loiret, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire des recherches sur son parcours. J’ai appris qu’une association « Mémoires du convoi 6 » avait été créée quelques années plus tôt par des enfants de déportés partis par ce convoi, c’était le convoi de mon père, ça je le savais. J’ai contacté l’association et il m’ont aidé à faire des recherches pour retracer le parcours de mon père, J’ai retrouvé dans cette association des personnes qui connaissaient bien mon père qu’ils avaient vu entre autres à Beaune-la-Rolande et à la Matelotte. Je ne les connaissais pas.

Mon père LEJBUS est né le 1er Novembre 1905 en Pologne à ZELECHOW à 60 kms au sud de Varsovie petite bourgade de 5 500 habitants presque tous des Juifs, il épousa PERLA LISTEK également du même village et ils vinrent en France en 1929. Ils eurent 2 enfants nés à Paris, CHAJA le 12 Janvier 1931 et SAMUEL NATHAN le 31 décembre 1938. Ils habitaient 83 bd Beaumarchais dans le 3ème arrondissement, il était tailleur, entrepreneur de confection pour homme, il avait son atelier dans l’appartement.

Au début de la guerre, il a fait une demande comme beaucoup de Juifs pour être engagé volontaire, mais sa demande a ét refusée, pourquoi je ne sais pas, peut être à cause des enfants ou de son âge, il avait 35 ans.

En mai 1941 une convocation verte a été envoyée à environ 6 600 juifs de Paris dont mon père pour contrôle de leur situation, ils devaient se présenter le 14 mai accompagnés d’une personne à divers endroits de la capitale, il y avait le gymnase Japy, les casernes Napoléon et des Minimes et divers commissariats. Mon père n’ayant rien à se reprocher, s’est présenté à cette convocation comme 3 700 autres personnes. Mais là, on a demandé à la personne accompagnatrice d’aller chercher une valise avec quelques vêtements et un peu de nourriture et de revenir au lieu de rassemblement. En fin de compte, c’était une arrestation pure et simple, cette convocation était une ruse. Cette demande faisait suite aux autorités allemandes de réduire le nombre de Juifs étranger en zone occupée.  Ils ont été emmenés à la gare d’Austerlitz puis acheminés à Pithiviers et à Beaune la Rolande distant d’environ 20 km tout cela par les policiers français, aucun allemand n’a participé à cette rafle. C’est ce qu’on nomme la rafle du billet vert. Chaque année une commémoration est faite le 1er dimanche qui suit le 14 mai à Pithiviers et Beaune la Rolande j’y serai encore cette année.

Pithiviers et Beaune la Rolande étaient deux camps de baraques destinés à accueillir des prisonniers de guerre allemands, mais depuis la rafle du billet vert ces camps sont devenus des camps d’internement pour les Juifs. Mon père était donc à Beaune -la-Rolande avec 2000 autres prisonniers gardés par des gendarmes et douaniers français. Qu’est-ce qu’ils faisaient ? pas grand-chose ils devaient soi-disant assécher les marais, ils travaillaient dans les fermes voisines, ils passaient leur temps comme ils pouvaient, ils avaient droit à des visites au début, ils se sont organisés ils ont créé des activités, ils jouaient aux cartes, aux échecs, ils ont créé des spectacles, d’autres s’occupaient des cuisines, il y avait des coiffeurs, ils fabriquaient des objets, etc… Ils pensaient qu’ils resteraient ici peu de temps et qu’ils seraient libérés car ils n’avaient rien à se reprocher. Il y a eu quelques évasions, mais on leur disait que s’ils s’évadaient il y aurait des représailles sur leurs familles. Mon père est resté jusqu’au 25 juillet 1941 un peu plus de 2 mois et il a été transféré à la ferme de la Matelotte avec 80 autres personnes, toujours pour travailler, assécher les marais et toujours gardés par des gendarmes et douaniers français. Aucun allemand. Ils dormaient dans la ferme dans des étables, l’hiver 41/42 a été très froid.

Presque 1 an après la Matelotte. Le 13 juillet 1942, ils ont été transférés à Pithiviers, Le 16 juillet au soir, mon père ainsi que les autres prisonniers ont été remis aux autorités occupantes, aux Allemands. Ils ont été embarqués dans un train de marchandises à la gare de Pithiviers le soir pour une destination inconnue, ils ont passé la nuit dans ce train en gare, une cinquantaine de personnes par wagons sans pouvoir sortir ni manger ni boire. Au matin du 17 juillet à 6 h 15 ça a été le départ du convoi 6 avec 809 hommes 119 femmes dont 24 enfants soit 928 personnes. Ils ne restait que 600 personnes dans les camps pour compléter ce convoi de 928 personnes, des arrestations ont  été organisées quelques jours avant dans la région avoisinante, ces arrestations ont été menées en grande partie par la police française selon l’entente entre les Allemands et Bousquet. Des arrestations des familles entières dans la région de Bourgogne, dans la Nièvre, à Monceau les Mines, à Besançon, c’est pour cela qu’il y avait des femmes et des enfants à bord du train car dans les camps il n’y avait que des hommes adultes. Les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande sont restés vide après le départ du train pour laisser la place au Juifs raflés du Vel d‘hiv.

Il y a eu 8 convois partis de Pithiviers et Beaune la Rolande

le 25 juin convoi n°4,

 le 28 juin convoi n° 5,

le 17 juillet convoi n°6,

le 31 juillet convoi n° 13, le 3 août convoi n°14,

le 5 août convoi n°15,

le 7 août convoi n°16

le 21 septembre convoi n°35

Pendant ce temps à Paris, le 16 juillet a eu lieu la rafle du Vel d’Hiv. Sa femme PERLA et ses 2 enfants CHAJA et SAMUEL NATHAN ont été raflés, ils sont restés quelques jours puis ils ont été envoyés à Pithiviers comme la plupart des femmes et des enfants raflées. Les hommes ont été envoyé au camp de Drancy.

A Pithiviers il y a eu la séparation des enfants en bas âge de leur mère. SAMUEL NATHAN qui avait 3 ans ½ a été séparé de sa mère et sa sœur CHAJA 11 ½ ans, est resté dans le camp avec les autres enfants de son âge pendant que sa mère et sa sœur ont été transférés à Drancy. Pourquoi cette séparation ? tout simplement que les Allemands ne voulaient pas d’enfants en bas âge en Allemagne, c’est avec l’insistance du gouvernement de Vichy que les autorités allemandes ont accepté en août 1942 de prendre les enfants dans les convois mélangés avec d’autres adultes. PERLA 36 ans et CHAJA 11 ans ½ ont été déportése de Drancy par le convoi 25 le 28 aôut 1942. SAMUEL NATHAN a été transféré à Drancy le 15 septembre et déporté avec d’autres adultes le 18 septembre 1942 par le convoi 34. Tous les 3 ont été exterminés en arrivant à Auschwitz.

Mon père est donc parti avec le convoi 6 le 17 juillet à 6 h 15. Ils ont mis 3 jours et 3 nuits pour arriver à Auschwitz où ils sont arrivés le 19 juillet à 19 h. Dans le train il y avait juste un seau pour uriner, il n’y avait rien à boire ils ont reçu une ration de pain, il faisait très chaud des personnes ont commencé à vomir et ça sentait très mauvais.  En arrivant à Auschwitz, il y avait déjà des morts. Il n’y avait pas encore de sélection à l’arrivée. Tous les déportés ont été sélectionnés pour les travaux forcés, les hommes ont été tatoués des numéros 48880 à 49688, mon père a été tatoué avec le numéro 49474, les femmes du numéro 9550 à 9668.  Je ne sais pas exactement ce qu’il faisait comme travail forcé, je sais qu’au début il était à Auschwitz et en septembre 1942 il a été transféré au camp de Birkenau à 2 kms.

Un an après, fin septembre 1943, les Allemands ont rassemblé dans des baraquements environ 2000 hommes dont mon père, sans dire pourquoi et ils ont embarqué dans un train « normal 3ème classe » sans savoir où ils allaient. Ils sont arrivés à Varsovie.

Après l’insurrection du ghetto de Varsovie du 19 avril 1943, veille de Pessah qui a duré jusqu’au 16 mai 1943, les allemands voulaient nettoyer le ghetto, il s’agit pour les prisonniers de nettoyer, d’empiler les briques des maisons effondrées.  Quelques-unes tenaient encore debout, brulées, sans portes, sans fenêtres ni escaliers. Ils ont découvert des cadavres dans des caches sous les caves, ils ont découvert quelques fois des trésors, des vêtements, des pièces qu’ils essaient d’échanger contre du pain avec les civils polonais qui venaient récupérer les briques, tous les matériaux étaient récupérables il manquait de tout à l’époque.

Fin juillet 1944, il a été évacué parce que les troupes russes approchaient de Varsovie. Les Allemands quittèrent les lieux emmenant les prisonniers, il a marché plus de 100 kms jusqu’à la gare de Kutno, la marche de la mort, beaucoup de prisonniers sont morts pendant ce trajet car ceux qui n’avançaient pas assez vite étaient tués par les Allemands. A Kutno ils ont pris un train pour le camp d’internement de Dachau près de Munich, ils sont arrivés le 6 août 1944. Il y a eu encore beaucoup de morts.

Mon père a été libéré par les troupes américaines le 30 avril 1945, il est arrivé à Paris à l’hôtel Lutetia le 17 mai, 4 ans après sa première arrestation.

Avant la guerre en Pologne à Zelechow il y avait encore toute sa famille, ses frères et sœurs, tous ont été exterminés à Treblinka.

Il n’avait plus de famille. Il a pu reprendre son ancien appartement et il s’est mis en ménage avec ma mère FAJGLA qui a été cachée pendant la guerre, son mari était également à Beaune- la-Rolande et Pithiviers mais étant malade, il était à l’hôpital de Pithiviers et a été déporté par le convoi 35 de Beaune la Rolande le 21 septembre 1942. Ma mère avait 2 enfants HENRI né en 1936 et THERESE née pendant la guerre le 16 mai 1943 et cachée chez les bonnes sœurs sous un faux nom MARIE THERESE GUEREC. Moi je suis né le 7 Juin 1947. Mon frère HENRI est mort à 39 ans d’une crise cardiaque en 1975 ma sœur est toujours en vie.

Mon père a pris sa retraite à Cannes, il venait de temps en temps à Paris. Début janvier 1990 il est venu quelques jours à Paris pour régler quelques affaires. Je l’ai raccompagné à la gare de Lyon et il m’a dit qu’il est très heureux de vivre à Cannes avec ma mère. 8 jours plus tard l’hôpital de Cannes m’a appelé pour me dire qu’il faut que je vienne immédiatement. Mon père tous les matins allait marcher et en traversant le boulevard sur un passage protégé sans feu il s’est fait renverser par une voiture. Je suis arrivé à l’hôpital, mon père était déjà décédé. Il avait 85 ans et il était en pleine santé. Depuis, la municipalité a mis un feu à ce passage protégé 3 mois après l’accident. Ma mère est restée encore à Cannes une dizaine d’années puis elle est rentrée à Paris dans une maison de retraite et elle est morte à 97 ans en 2007, mais elle avait encore toute sa tête, les jambes suivaient moins.

Aujourd’hui à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande, il y a 8 stèles devant les anciens camps avec les noms des 8 convois de déportés ainsi que les noms des 4000 enfants qui ont transité au camp, l’association dont je fais toujours partie est à l’origine de ces stèles. Tous les ans une commémoration a lieu le 17 juillet et nous lisons les noms des 928 déportés du convoi 6, aujourd’hui nous avons pu trouver des traces de 99 rescapés de ce convoi, nous avons créé 2 ouvrages de témoignages.

La gare de Pithiviers qui n’est plus en service depuis plus de 20 ans a été donnée au Mémorial de la Shoah par la SNCF pour en faire un musée. Il a été inauguré le 17 juillet 2022 et en le visitant, j’ai découvert, bien en évidence, mon père et sa femme Perla, dans un grand tableau, en compagnie de parents de mes amis de l’association rebaptisée Mémoires du Convoi 6 et des Camps du Loiret.

 

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